Deux enquêtes récemment annoncées par le Bureau de l’ombudsman canadien de la responsabilité des entreprises (OCRE) sur des violations présumées des droits de humains associées à Nike Canada et Dynasty Gold Corp. arrivent trop tard et risquent de donner peu de résultats, en raison de l’absence de réels pouvoirs d’investigation de l’OCRE et de son incapacité à assurer un traitement rapide des dossiers.
L’OCRE a annoncé hier qu’il enquêterait pour déterminer si Nike Canada a eu recours au travail forcé des Ouïghours dans ses chaînes d’approvisionnement chinoises ou en a bénéficié, et si Dynasty Gold Corp. a profité du travail forcé dans une mine en Chine où elle détient une participation majoritaire.
Problème 1 : L’OCRE ne peut pas obtenir les informations dont il a besoin
Le premier problème de l’OCRE est qu’il ne sera pas en mesure d’obtenir les informations dont il a besoin pour déterminer si le travail forcé ou d’autres violations des droits humains ont effectivement eu lieu.
Les entreprises ont refusé de coopérer à l’enquête et n’ont aucune obligation légale de le faire, puisque l’OCRE n’a jamais été habilitée à exiger des documents ou des témoignages. (Le gouvernement n’a pas tenu sa promesse de donner ces pouvoirs à l’OCRE, bien que les groupes de défense des droits humains comme le RCRCE aient toujours insisté pour les obtenir, et que l’OCRE dise maintenant qu’il les veut aussi.)
L’OCRE a également annoncé qu’il ne pouvait pas envoyer de chercheurs pour mener des enquêtes en personne. Cette difficulté, qui s’ajoute à l’incapacité de l’OCRE à obtenir des documents et des témoignages de la part des entreprises, fait que l’OCRE n’a pratiquement aucun moyen de mener des enquêtes utiles.
Et même si les enquêteurs avaient un accès direct aux victimes et aux témoins potentiels, et s’ils pouvaient obtenir des documents et des témoignages, de nombreuses victimes pourraient ne pas s’adresser à l’OCRE, parce qu’il n’existe pas de garanties adéquates pour protéger les personnes qui déposent des plaintes contre les représailles des entreprises dont elles se plaignent.
En fait, les experts du gouvernement canadien confirment que l’OCRE ne dispose pas actuellement d’outils suffisants pour mener des enquêtes crédibles et efficaces.
Problème 2 : L’OCRE ne peut pas faire grand-chose avec les informations qu’il obtient
Si l’OCRE parvient à obtenir les informations dont elle a besoin pour déterminer si ces entreprises ont contribué à la violation des droits de l’homme, que se passera-t-il ?
L’OCRE peut simplement recommander à Ottawa de ne pas accorder de soutien commercial ou financier à ces entreprises.
Toutefois, le gouvernement n’est pas tenu de suivre ces recommandations. Au contraire, le Canada a l’habitude d’offrir un soutien diplomatique aux entreprises canadiennes liées à des allégations de violations des droits humains et n’a jusqu’à présent pas saisi une seule cargaison de marchandises prétendument entachées de travail forcé (les États-Unis en ont saisi des centaines, par comparaison).
Au-delà des recommandations non contraignantes pour une action gouvernementale limitée et improbable, l’OCRE ne peut qu’espérer que l’attention du public encourage les entreprises à agir de manière plus responsable.
Cependant, le contrôle public a souvent peu d’effet sur le comportement des entreprises en matière de protection des droits humains, en particulier lorsque les fournisseurs et les filiales sont situés dans des régions inaccessibles de pays non démocratiques où la liberté de mouvement ou d’expression est limitée.
Par exemple, l’Australie et le Royaume-Uni ont adopté des lois sur le signalement obligatoire conçues pour utiliser le «pouvoir de la dénonciation» mais ces lois n’ont pas permis de réduire les violations des droits humains commises par les entreprises. (En 2023, le Canada a suivi le modèle inefficace de l’Australie et du Royaume-Uni avec le projet de loi S-211, bien que le gouvernement ait promis une législation plus stricte d’ici la fin de 2024).
Problème 3 : L’OCRE réagit trop lentement aux plaintes
Même si l’OCRE pouvait obtenir les informations dont elle a besoin, et qu’elle avait ensuite le pouvoir de faire quelque chose avec ces informations, cela ne signifierait pas grand-chose, étant donné que l’OCRE a été si lente à agir sur les plaintes dont elle a déjà été saisie.
À ce jour, l’OCRE n’a publié que deux rapports d’évaluation initiale, sur 16 plaintes concernant l’implication d’entreprises canadiennes dans des violations des droits humains – notamment le travail forcé des Ouïghours (bien que l’une de ces plaintes n’ait pas été jugée recevable).
Il a été qualifié de « lent » et d’ « inefficace » et accusé de créer un « processus enlisé dans la bureaucratie ».
Ce manque de résultats est stupéfiant étant donné que l’OCRE existe depuis 4 ans, qu’il dispose d’un personnel de 20 personnes et d’un budget annuel de $4,9 millions de dollars, dont $183 600 à $216 000 dollars par an sont versés directement à la l’Ombudsman elle-même.
Le RCRCE a demandé à l’OCRE d’agir beaucoup plus rapidement lorsqu’il reçoit des plaintes.
Problème 4 : Les Canadiens ne peuvent pas demander des comptes à l’OCRE
Le manque d’action de l’OCRE a été dénoncé par le RCRCE et d’autres organismes.
Cependant, l’OCRE s’est montré opaque et n’a pas réagi lorsqu’on l’a interrogé sur son manque flagrant de résultats.
Par exemple, après que des dirigeants autochtones ont déclaré que le manque de pouvoirs de l’OCRE le rendait indigne d’être approché, l’OCRE n’a à plusieurs reprises mis personne à disposition pour des entretiens, et les questions envoyées par courriel n’ont obtenu que des réponses pour visiter leur site web.
Il semble que le chien de garde ne veuille pas être surveillé.
SOLUTIONS
Il est clair que Nike Canada et Dynex Gold Corp. et d’autres entreprises accusées d’être associées à des violations des droits humains, y compris le travail forcé, n’ont guère de raisons de s’inquiéter des nouvelles enquêtes prévues par l’OCRE, puisque celui-ci n’a aucun pouvoir effectif pour enquêter ou faire quelque chose si ses enquêtes révèlent des actes répréhensibles, et qu’il n’a pas agi rapidement ni fait preuve de transparence, en dépit d’un budget et d’un personnel conséquents.
Pour que l’OCRE puisse faire quelque chose de significatif, et pour que les « enquêtes » qu’il a annoncées hier soient réellement importantes pour Nike Canada ou Dynasty Gold, le gouvernement canadien peut faire deux choses relativement simples :
1. Le gouvernement peut adopter une loi telle que le projet de loi C-263, déjà soumis au Parlement, qui donnerait à l’Ombudsman (ou à un Commissaire similaire) les pouvoirs de :
- contraindre les témoins et les documents dont il a besoin pour mener des enquêtes réellement efficaces ;
- d’infliger des amendes aux personnes qui entravent ou induisent en erreur les enquêtes.
En ce qui concerne le manque flagrant d’action et de transparence de l’OCRE, le projet de loi C-263 exige également un rapport annuel au Parlement, comprenant des résumés des plaintes reçues et de toute enquête pertinente, ainsi que toute recommandation de modification de la législation canadienne et de la politique gouvernementale.
Au moins deux des partis d’opposition du Canada soutiennent déjà ce projet de loi, de sorte que le gouvernement n’aurait qu’à faire appel à sa propre volonté politique.
Le RCRCE a également publié en 2016 un modèle de législation qui aurait permis de créer un ombudsman efficace.
2. Même en l’absence de législation visant à créer un médiateur efficace, le cabinet du Premier ministre peut nommer l’OCRE en tant que Commissaire en vertu de la Loi sur les enquêtes par un décret. Cela donnerait à l’OCRE les pouvoirs clés dont il a besoin pour mener des enquêtes efficaces : les pouvoirs de
- convoquer des témoins, et
- d’exiger des entreprises qu’elles lui remettent des documents.
Le RCRCE a publié un modèle de décret [en anglais] que le gouvernement peut utiliser.
La solution simple et rapide consistant à nommer l’OCRE en tant que Commissaire en vertu de la loi sur les enquêtes permettrait de rendre l’OCRE immédiatement plus efficace.