Photo: Des femmes autochtones Ipili et Engan mènent une manifestation contre le viol et la violation des droits des femmes par les agents de sécurité de la mine d’or de Porgera.
La mine de Porgera de Barrick Gold Corporation – Violations des droits humains
Une étude de cas par le Réseau canadien sur la reddition de comptes des entreprises (RCRCE)
Publié : Février 2023
Étude 5 de 6 [1]
La mine d’or Porgera Joint Venture (PJV) est située à Porgera, dans la province d’Enga, dans les hautes terres de Papouasie–Nouvelle-Guinée (PNG). En 2006, la société minière canadienne Barrick Gold Corporation (Barrick) détenait 75 % de la coentreprise, qu’elle exploitait également. En 2007, Barrick a accru son contrôle sur la mine PJV lorsqu’elle a acquis une participation de 95 % dans le projet.[2] La société est cotée en bourse à New York et Toronto.
Résumé
- Depuis 1990, cette mine aurait été responsable de dommages environnementaux bien documentés [3] liées à l’élimination non confinée des résidus dans les vallées adjacentes, entrainant la contamination des eaux de surface et menaçant ainsi le droit des populations voisines d’accéder à l’eau potable.[4]
- En 2005, alors que Barrick se préparait à acquérir Placer Dome Inc. (Placer Dome) et sa participation dans la mine PJV, Placer Dome a admis que les agents de sécurité et les policiers de la mine avaient tué huit personnes du village local,[5] et Barrick a reçu des éléments de preuve d’un groupe local de défense des droits humains[6] détaillant plusieurs violations des droits, notamment des meurtres, des actes de torture, des arrestations arbitraires et des tabassages qui auraient été perpétrés par les agents de sécurité et les policiers de la mine. [7] Les abus ont également été couverts par les médias canadiens quelques mois seulement après l’acquisition de Placer Dome par Barrick.[8]
- Après avoir pris le contrôle de la mine en 2006, Barrick a été critiquée par des groupes de défense des droits humains pour ne pas avoir reconnu, enquêté ou traité de manière appropriée l’usage excessif de la force par les agents de sécurité de la mine et la police gardant le site, malgré les rapports répétés faisant état de meurtres et de tabassages d’hommes et de garçons, de viols et de viols collectifs de femmes et de filles,[9] et de maisons incendiées.[10]
- Finalement, en 2010, Barrick a admis publiquement que la société avait reçu des allégations détaillées d’agressions sexuelles perpétrées par des employés de la mine.[11] Toutefois, la réponse de la société a consisté à mettre en place une procédure de règlement des griefs limitée dans le temps, qui a été critiquée par les experts en matière de droits humains.[12]
- L’entreprise soutient que « depuis la conclusion de la [procédure de griefs], aucune autre allégation crédible n’a été reçue ».[13] Cependant, des allégations de violations des droits humains non traitées ont continué d’être documentées et signalées.[14]
Le contexte détaillé
Bien que la Papouasie–Nouvelle-Guinée soit un pays riche en ressources, environ 40 % de sa population vit dans la pauvreté. Au lieu de stimuler un développement économique significatif pour les communautés locales, l’exploitation des ressources naturelles, y compris l’exploitation de l’or, a alimenté des conflits violents et la destruction de l’environnement. Aujourd’hui, le pays continue d’être considéré comme l’un des endroits les plus dangereux pour les femmes et les filles en raison de la violence domestique, et l’impunité pour les taux élevés de brutalité policière est endémique.[15] C’est dans ce contexte que le géant minier canadien, Barrick Gold, a continué à opérer sa mine PJV.
Depuis 2005, avant l’acquisition de la mine de PJV par Barrick, la société a été informée à plusieurs reprises de cas bien documentés de violations présumées des droits humains, notamment d’agressions sexuelles, de viols et de meurtres commis par des membres d’une agence de sécurité privé et de la police, ainsi que de destruction environnementale à la mine d’or de PJV. Malgré les avertissements reçus initialement et les rapports de violence venus par la suite, il a fallu cinq ans à Barrick pour réagir publiquement. La réponse de la société a été critiquée comme étant inadéquate par des experts en droits humains, y compris la Columbia Law School Human Rights Clinic, la Harvard Law School International Human Rights Clinic et MiningWatch Canada.[16]
Rapports de violations des droits humains graves
En novembre 2005, la mine de PJV et la police nationale ont signé un protocole d’entente pour assurer conjointement la protection de la mine de PJV. Les preuves de violence policière qui ont émergé par la suite montraient clairement ce que cette « protection » impliquait pour la sécurité et la vie de la population locale. Le 4 novembre 2005, dans la période qui a précédé l’acquisition par Barrick de la mine PJV auprès de Placer Dome, un groupe local, Akali Tange Association, a envoyé à Barrick une lettre[17] les avisant de l’historique des meurtres commis par les forces de sécurité de la mine de Placer Dome, y compris les violences dirigées contre les villageois des peuples autochtones Ipili et Engan. L’Akali Tange Association a également envoyé une lettre et une copie de son rapport 2005 aux dirigeants de Barrick au siège de la mine, à Port Moresby, la capitale de la Papouasie–Nouvelle-Guinée.[18] La lettre faisait état de 11 exécutions extrajudiciaires commises par les forces de sécurité de la mine et la police.
La même année, le gouvernement de la Papouasie–Nouvelle-Guinée a ouvert une enquête officielle sur les décès.[19] Enfin, dans une entrevue par courriel en 2005, Patrick Bindon, de Placer Dome, a déclaré à l’agence d’information IPS que les forces de sécurité et les policiers de la mine avaient tué huit personnes depuis 1996.[20] Après l’acquisition de Placer Dome en mars 2006, Bindon a continué à travailler pour Barrick.
Ce qui précède suggère que les informations sur les violations des droits humains étaient clairement de notoriété publique, mais Barrick a continué à poursuivre ses activités comme si de rien n’était.
Barrick garde le silence malgré les témoignages et les enquêtes sur les droits humains
Pendant trois années consécutives, à partir de 2008, des habitants de Porgera se sont rendus au Canada pour assister aux assemblées annuelles des actionnaires de Barrick et pour dire au chef de la direction de la société, au conseil d’administration et aux actionnaires que les agents de sécurité et les policiers de la mine PJV battaient et tuaient des hommes et des garçons et qu’ils battaient et violaient des femmes et des filles.[21] Pendant leur séjour au Canada, ils ont également rencontré les médias canadiens, des membres du Parlement et des fonctionnaires des Affaires étrangères, ainsi que des représentants de Barrick à Toronto, où se trouve son siège social.
Entre 2008 et 2009, des enquêteurs des droits humains de Harvard et de l’Université de New York, qui, avec MiningWatch Canada[22], avaient mené des enquêtes approfondies, y compris trois missions d’établissement des faits sur des cas de viols et de viols collectifs, ont envoyé trois lettres distinctes à Barrick.[23] Les enquêteurs ont demandé à rencontrer la société pour discuter des violences présumées et ont demandé à recevoir des copies des rapports de Barrick concernant les impacts de la mine sur l’environnement et les droits humains. La réponse de Barrick, cependant, a été extrêmement limitée. L’entreprise n’a fourni aucune information sur des meurtres spécifiques ni aucun document relatif à la structure de sécurité de la mine.[24]
Les chercheurs ont également partagé les résultats de cette recherche lors de témoignages fournis au Comité des affaires étrangères et du développement international du Canada en 2009[25] et 2010,[26] et dans un mémoire juridique qui a été déposé.[27] En réponse au témoignage de 2009, Barrick a choisi ses mots avec soin, notant qu’« aucun cas d’agression sexuelle [n’a été] signalé à la direction de la mine » (c’est nous qui mettons en italique) et qu’« il n’est pas possible pour la [mine Porgera Joint Venture] d’enquêter sur une allégation qu’elle n’a jamais reçue… »[28] Barrick a également semblé mettre en doute le fait que les femmes aient été violées, affirmant que si elles l’avaient été, il existait « de nombreux moyens » à la mine pour que les femmes puissent signaler les abus.[29]
Les témoignages ultérieurs des chercheurs de Harvard ont mis à mal la prétendue ignorance de Barrick concernant les viols collectifs et les meurtres, en faisant valoir qu’il existait de nombreuses preuves de ces abus, notamment des allégations de viol remontant à 2006, qui auraient dû inciter l’entreprise à mener une enquête approfondie — et qu’il n’aurait pas fallu beaucoup d’efforts pour découvrir des preuves de ces abus.[30] Enfin, fin 2010, Barrick a reconnu les allégations d’agression sexuelle[31] en créant un mécanisme de réclamation à court terme qui a été critiqué par MiningWatch Canada[32], des experts en droits humains de Columbia et Harvard[33], et le consultant même de Barrick BSR.[34]
De même, malgré l’existence de déclarations de témoins et de rapports d’autopsie et de police,[35] à ce jour Barrick n’a pas répondu de manière effective aux allégations de meurtres commis par les agents de sécurité de la mine contre des garçons et des hommes.[36]
Qu’en serait-il si… ?
Si une législation sur la diligence raisonnable obligatoire en matière de droits humains avait été en vigueur, qu’est-ce qui serait différent pour les femmes et les hommes qui, depuis plus de 15 ans, dénoncent les graves abus commis par les forces de sécurité publiques et privées à la mine de Barrick Gold en Papouasie–Nouvelle-Guinée?
Dans un cas comme celui de Porgera, où il existe des antécédents de violence de la part des agents de sécurité et de la police nationale, les évaluations de diligence raisonnable permettraient d’identifier et évaluer la probabilité que ces abus se poursuivent, établiraient des procédures pour prévenir la répétition de ces abus et développeraient des mécanismes indépendants pour remédier aux dommages causés avant l’acquisition. Si les abus se poursuivaient, la société pourrait alors être tenue de rendre compte de ce qu’elle a fait pour remédier à ces abus devant un tribunal canadien.
- Identifier et évaluer : Si Barrick avait entrepris une évaluation des risques et de diligence raisonnable adéquate avant et après l’acquisition de Placer Dome, elle aurait :
- Pris au sérieux les informations sur l’historique des meurtres commis par les forces de sécurité de la mine, qui figuraient dans les archives publiques et qui ont été communiquées directement à la société par l’Akali Tange Association en novembre 2005, lorsque l’organisation locale de défense des droits humains a essayé d’avertir Barrick des graves violations des droits humains à la mine.
- Identifié et évalué si les violences commises par les agents de sécurité se sont poursuivies après l’acquisition du projet par Barrick, comme l’ont rapporté les médias, les groupes locaux de défense des droits humains lors des assemblées annuelles des actionnaires de la société, les organisations de la société civile telles que MiningWatch Canada et les experts internationaux des droits humains des universités de Harvard et de New York.
- Prévenir, atténuer, et rendre compte : Barrick aurait pu prendre des mesures pour éviter que les violations des droits humains commises par ses agents de sécurité à la mine ne se reproduisent en :
- Se retirant du protocole d’entente avec la police nationale, compte tenu des nombreuses allégations en matière de violations des droits humains et de violence.
- Développant et en mettant en œuvre une formation efficace pour le personnel de la mine et en établissant des plans de suivi et des pratiques pour garantir que toute violence sur le site de la mine ou liée à la mine soit identifiée immédiatement, fasse l’objet d’une enquête indépendante, soit atténuée et cesse.
- S’assurant que ses mécanismes de plainte soient indépendants, sûrs et efficaces.
- S’engageant auprès des membres de la communauté, en particulier les femmes, pour s’assurer qu’elles connaissent les mécanismes de plainte indépendants de l’entreprise et qu’elles savent comment y accéder en toute sécurité.
- Installant des caméras de surveillance dans les zones où des viols et d’autres formes de violence ont été signalés.
- Établissant un mécanisme de plainte indépendant et accessible au public, avec des étapes claires pour répondre, atténuer et rendre justice aux plaignants et plaignantes dont les plaintes sont jugées fondées par une enquête indépendante.
Comment les membres de la communauté et les travailleurs et travailleuses pourraient-ils accéder à la justice ?
Si Barrick n’avait pas réussi à empêcher les violations des droits humains en cours et n’avait pas garanti l’accès à la justice et aux recours pour les hommes, les femmes et les enfants qui ont subi des violences et des viols de la part des agents de sécurité de la mine, les personnes touchées par ces violences, ou leurs alliés, auraient pu porter plainte devant un tribunal canadien. Les tribunaux auraient évalué la somme des politiques et des pratiques de Barrick en matière de diligence raisonnable et, s’il avait été déterminé que Barrick n’avait pas donné suite à ses propres mesures de diligence raisonnable ou que ces mesures étaient considérées comme faibles et inefficaces, Barrick aurait pu être tenue responsable des dommages.