Les entreprises canadiennes sont liées aux graves violations des droits humains dans le cadre de leurs activités et de leurs chaînes d’approvisionnement mondiales, incluant le travail forcé, les agressions sexuelles, les dommages graves causés à l’environnement et les assassinats. Pourtant, cinq ans après que le gouvernement du Canada a annoncé la création d’un bureau d’ombudsman indépendant avec les pouvoirs nécessaires pour enquêter efficacement, l’OCRE ne dispose toujours pas de véritables pouvoirs pour servir les communautés et les travailleuses et travailleurs affectés.
« Sans indépendance et sans véritables pouvoirs d’enquête, l’OCRE ne pourra pas servir les communautés affectées. Il présente en effet toutes les caractéristiques des bureaux qui ont failli à leurs tâches et qu’il est censé remplacer. C’est comme si on donnait une voiture à quelqu’un en lui disant que le moteur ne sera pas installé avant deux ans », a déclaré Emily Dwyer, directrice des politiques du Réseau canadien sur la reddition de compte des entreprises. « Il est inadmissible que le gouvernement du Canada n’ait pris aucune mesure pour munir le bureau d’un minimum de pouvoirs essentiels à la réalisation de son mandat, et cela cinq ans après avoir promis des actions concrètes pour lutter contre les abus commis par des entreprises. »
Même les experts du gouvernement canadien s’accordent à dire que l’OCRE ne dispose pas actuellement d’instruments suffisants pour assurer la mise en œuvre d’enquêtes efficaces et crédibles, et que l’absence du pouvoir d’ordonner la production de documents compromet l’efficacité du bureau puisque l’OCRE sera donc tributaire de la coopération volontaire des entreprises.
C’est en mars 2021 que l’OCRE a ouvert ses portes aux plaintes. Selon les plus récentes publications de l’OCRE, 14 des plaintes reçues à date sont admissibles.
« Etant donné que l’OCRE ne dispose pas d’un minimum de pouvoirs essentiels pour être efficace, si les personnes vulnérables portaient plainte, ce serait un gaspillage de leurs temps et de leurs ressources, déjà limités. Pire encore, nous craignons que les personnes vulnérables subissent des préjudices après un dépôt de plainte. Le RCRCE continue de recommander à ses partenaires de faire preuve de prudence lorsqu’ils s’adressent au bureau de l’OCRE, le cas échéant », déclare Aidan Gilchrist-Blackwood, coordonnateur de réseau au RCRCE. « Vu que les gens n’ont souvent aucune autre option, il est compréhensible que le bureau reçoive certaines plaintes, même s’il est mal armé pour répondre aux besoins des communautés affectées. »
« Les personnes lésées par les entreprises canadiennes attendent depuis bien trop longtemps une voie de recours efficace au Canada », a indiqué Dwyer. Alors que le Canada traîne les pieds, on observe un élan croissant vers des lois contraignantes sur l’imputabilité des entreprises dans de nombreux pays. Le Canada devrait agir rapidement pour rattraper son retard en donnant à l’OCRE les pouvoirs requis pour enquêter, tout en mettant rapidement en œuvre une législation sur la diligence raisonnable obligatoire en matière de droits de la personne et l’environnement. »
« Le gouvernement doit prendre des mesures décisives pour mettre fin aux abus des entreprises. Telle était la promesse faite en janvier 2018. Il s’agit là de la promesse à tenir. » poursuit-elle.
Autres informations générales
- En janvier 2018, le gouvernement du Canada a annoncé publiquement la création d’un poste d’ombudsman canadien indépendant pour la responsabilité des entreprises (OCRE) et s’est résolu à confier à ce bureau les instruments nécessaires pour mener des enquêtes indépendantes crédibles, tels que le pouvoir de contrainte à exiger la production de documents et à convoquer des témoins.
- En avril 2019, le gouvernement est cependant revenu sur cet engagement, en nommant plutôt un conseiller spécial auprès du ministre de la Diversification du commerce international, sans les pouvoirs d’enquête nécessaires, et a eu recours à l’expertise de spécialistes en conseils juridiques sur la façon de donner les pouvoirs nécessaires au bureau de l’ombudsman canadien de la responsabilité des entreprises (l’OCRE) pour qu’il accomplisse éventuellement son mandat.
- Le rapport McIsaac – cet avis juridique – confirme les points suivants :
- Le gouvernement fédéral détient un dispositif juridique lui permettant d’octroyer à l’OCRE, sans délai, les pouvoirs nécessaires pour accomplir son mandat par le biais de la Loi sur les enquêtes ou d’une loi autonome.
- Sans le pouvoir de contrainte à exiger la production de documents et à convoquer des témoins, « l’efficacité de l’OCRE peut être compromise » car elle « est tributaire de la coopération volontaire des plaignants et des entités faisant l’objet de l’enquête. » En d’autres termes, l’OCRE doit s’appuyer sur des entreprises faisant l’objet d’une enquête, pour lui fournir volontairement les informations nécessaires pour mener à bien l’enquête.
- Le gouvernement du Canada a dissimulé et a ignoré les conclusions de ce rapport jusqu’à ce qu’il fasse l’objet d’une fuite en février 2021.
- En juin 2021, la majorité des membres du sous-comité des droits internationaux de la personne a recommandé que l’OCRE soit doté du pouvoir de contrainte à exiger la production de documents et à convoquer des témoins.
Deux projets de loi émanant des députés, s’ils sont adoptés, contribueront de façon significative à l’engagement du gouvernement à s’assurer que les entreprises canadiennes respectent les droits de la personne au sein de leurs activités mondiales. Les deux projets de loi ont été déposés en mars 2022.
- Projet de loi C-263, Loi établissant le Bureau du commissaire à la conduite responsable des entreprises à l’étranger et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, qui va conférer à l’ombudsman canadien de la responsabilité des entreprises (l’OCRE) le pouvoir de contrainte à exiger la production de documents, à faire comparaître des témoins et à les faire témoigner sous serment.
- Projet de loi C-262, Loi concernant la responsabilité des entreprises de prévenir les incidences négatives sur les droits de la personne qui sont liées à leurs activités commerciales à l’étranger, d’en tenir compte et d’y remédier, qui exigent des entreprises qu’elles effectuent un examen de l’ensemble de leurs activités commerciales afin d’identifier les risques présents ou potentiels pour les personnes et l’environnement, de prendre des mesures pour atténuer les risques, et faciliter l’accès aux voies de recours pour les personnes affectées. C’est ce que l’on appelle la diligence raisonnable en matière de droits de la personne et de l’environnement.