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L’Ombudsman canadien de la responsabilité des entreprises (OCRE) : Aborder avec prudence

En janvier 2018, le gouvernement canadien annonçait qu’il établirait un bureau de l’Ombudsman de la responsabilité des entreprises (OCRE) doté de l’indépendance et de pouvoirs robustes nécessaires pour enquêter sur les violations des droits de la personne associées aux sociétés canadiennes opérant à l’étranger. Les groupes de la société civile canadienne ont accueilli favorablement cette nouvelle, la considérant comme une réponse attendue depuis longtemps aux demandes répétées qu’eux-mêmes et les organisations de la société civile du monde entier avaient formulées pendant de nombreuses années pour la création d’un tel mécanisme.

Toutefois, l’Ombudsman canadien de la responsabilité des entreprises (OCRE) qui a été créé en avril 2019 n’est pas le bureau qui avait été promis. Il n’a pas le mandat et les pouvoirs nécessaires pour s’avérer un moyen efficace d’aider les communautés lésées par les sociétés canadiennes à défendre leurs droits, à accéder à un recours ou à demander justice. Il n’a pas été conçu en tenant compte des besoins des communautés touchées. Tout comme les bureaux de responsabilité sociale des entreprises sans influence qui ont été discrédités dans le passé, le nouveau bureau semble avoir été conçu plus en fonction de comment il serait perçu par les entreprises que pour soutenir les droits humains des communautés touchées.

Loin de ce qui avait été promis

La société civile canadienne a plaidé pour un bureau indépendant habilité à :

  • recevoir des plaintes,
  • enquêter de manière approfondie sur les dommages causés par les sociétés canadiennes ou y avoir contribué,
  • rendre compte publiquement de ses conclusions,
  • faire des recommandations de réparation pour les communautés touchées, y compris le retrait du soutien gouvernemental aux entreprises impliquées dans des actes répréhensibles, et
  • faire des recommandations pour prévenir des dommages futurs, y compris en proposant de réformer certaines lois et politiques canadiennes.

C’est ce que le gouvernement s’est initialement engagé à faire. Mais on est loin de tout cela avec l’OCRE. Le gouvernement a cédé aux pressions des grandes entreprises et a créé un poste sans pouvoir, un simple fonctionnaire du gouvernement agissant en tant que conseiller spécial du ministre.

Les carences de l'OCRE

Le bureau souffre de carences fondamentales :

1. Aucun pouvoir d'enquêter de manière indépendante

Le pouvoir de tout Ombudsman repose sur sa capacité à enquêter efficacement sur les allégations d’actes répréhensibles. L’outil de base minimal requis pour rendre les enquêtes efficaces est le pouvoir de contraindre des documents et des témoignages. C’est sur quoi repose le « pouvoir incisif » du bureau. Cela fait en sorte que le bureau de l’Ombudsman ne soit pas entièrement à la merci de la bonne volonté de l’entreprise accusée d’abus.

Le gouvernement s’était engagé à accorder de tels pouvoirs à l’Ombudsman. Cependant, lors de la création du bureau plus d’un an plus tard, le gouvernement a renié sa promesse et n’a donné à l’OCRE que le pouvoir de proposer une médiation ou d’entreprendre des « examens », tous deux reposant entièrement sur la bonne volonté des sociétés transnationales à partager volontairement des informations vitales qui pourraient les impliquer dans des actes répréhensibles.

2. Aucune autonomie par rapport au gouvernement ou à la grande entreprise

L’OCRE et l’ensemble de son personnel travaillent directement pour le gouvernement canadien. Les bureaux de l’OCRE sont situés à Affaires mondiales Canada (un ministère du gouvernement canadien). L’OCRE relève directement de la ministre de la Petite Entreprise, de la Promotion des exportations et du Commerce international.

De plus, il semble que l’OCRE ne puisse demeurer indépendant des grandes entreprises. L’OCRE est censé aider à corriger l’énorme déséquilibre de pouvoir qui existe entre les grandes sociétés étrangères et les communautés touchées. Cependant, selon le décret du cabinet qui établit le mandat de l’OCRE, il semble que les plaignants pourraient être tenus d’utiliser un processus appelé « enquête conjointe ». Cela donnerait effectivement aux sociétés puissantes un droit de veto sur les problèmes examinés, sur le choix des enquêteurs ainsi que sur les informations pouvant être rendues publiques.

3. Pourrait poser un risque pour les plaignants

A l’heure actuelle, des garanties adéquates ne sont pas en place pour protéger les personnes qui portent plainte au bureau de l’Ombudsman. Aucune disposition n’indique explicitement comment l’OCRE s’efforcera de protéger les plaignants contre des représailles pour avoir porté plainte, à l’exception d’une affirmation dans l’ébauche des procédures normales d’exploitation de l’OCRE à l’effet que les entreprises ne devraient pas exercer de représailles. Il n’y a également aucune politique portant sur les enquêtes délicates par rapport aux questions de genre ou reliées à la culture. Il n’est pas clair si les informations sensibles fournies par les communautés touchées seront gardées confidentielles et à l’abri du gouvernement et des entreprises sous examen.

Les communautés ne devraient-elles pas essayer de voir comment cela fonctionne ?

Le Canada a déjà mis en place des bureaux similaires, et ils ne sont pas parvenus à aider les gens touchés. À l’ancien bureau du conseiller en responsabilité sociale des entreprises (2009-2018), par exemple, les sociétés ont souvent simplement quitté la table. Le Point de contact national (PCN) du Canada pour les Principes directeurs de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques à l’intention des entreprises multinationales figure sur le site Web de l’OCRE comme l’un de ses « partenaires » et son mandat est très similaire à celui de l’OCRE. Les communautés et les travailleurs ont constaté qu’une plainte auprès du PCN se traduit par des mois ou des années de ressources communautaires investies dans un processus qui n’améliore aucunement leur situation, et parfois même l’aggrave. [1]

Ni les faiblesses évoquées plus haut, ni d’autres faiblesses identifiées n’ont été corrigées avec ce nouveau bureau. Compte tenu de la flagrante volte-face du gouvernement du Canada sur ses engagements concernant la mise en place de l’OCRE, il n’y a actuellement aucune raison pour les collectivités de croire qu’il s’avérera plus efficace que les bureaux qui l’ont précédé.

[1] Des exemples de l’expérience vécue par les communautés ayant porté plainte auprès du PCN du Canada sont disponibles en français: https://aboveground.ngo/wp-content/uploads/2017/01/Canada-is-back-Summary-FRENCH.pdf et en anglais: https://miningwatch.ca/sites/ default/files/miningwatchcanadasubmissiontoncppeerreviewjanuary2018.pdf (p. 39)

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