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Des organisations d’Amérique latine souhaitent accroître l’imputabilité des entreprises minières canadiennes à l’étranger

Développement et Paix et Mines Alerte Canada désirent attirer l’attention du premier ministre Trudeau sur une lettre ouverte exhortant le Canada à modifier en profondeur sa politique étrangère en ce qui a trait aux activités minières internationales. La lettre a été signée par près de 200 organisations actives en Amérique latine et sur la scène internationale.

« De nombreux signataires sont des partenaires de Développement et Paix dont le travail sur le terrain a été directement touché par les activités d’entreprises minières canadiennes », déclare Mary Durran, chargée de programme pour l’Amérique latine à Développement et Paix. « Nous appuyons leurs demandes pour qu’Ottawa exerce une surveillance plus étroite des activités menées par les sociétés extractives canadiennes à l’étranger. »

Parmi les signataires de la lettre, on compte des organisations à caractère juridique, environnemental, autochtone et paysan, ainsi que des organisations de défense des droits de la personne. Toutes se sont retrouvées aux premières lignes de conflits miniers en Amérique latine. Bien que ces organisations accueillent favorablement les expressions de soutien du premier ministre pour les droits de la personne et des autochtones, elles se disent préoccupées par les activités minières menées par le Canada en Amérique latine, du Mexique jusqu’en Argentine.

La lettre souligne « comment sous les administrations précédentes, les agissements du Canada en matière de droits humains se sont considérablement détériorés, et ce, non seulement aux yeux de la communauté internationale, mais aussi face aux personnes, peuples et communautés qui subissent les impacts négatifs des projets extractifs menés par les entreprises canadiennes. »

Les signataires espèrent voir se concrétiser des changements déjà appuyés par des députés du Parti libéral – dont l’actuel premier ministre – « pour l’adoption d’un cadre législatif qui permette d’établir efficacement la reddition de comptes des entreprises minières pour leurs agissements à l’étranger ».

« Au cours des dernières années, la population hondurienne a subi les effets néfastes des activités minières canadiennes, notamment la pollution de l’environnement et la contamination de sources d’approvisionnement en eau par des métaux lourds. En outre, le droit des collectivités au consentement libre, informé et préalable n’a pas été respecté », souligne Pedro Landa, militant hondurien pour la Fundacion ERIC, une organisation jésuite du Honduras signataire de la lettre et partenaire de Dévelppement et Paix.

« Le gouvernement du Canada doit réagir à cette lettre dans les plus brefs délais, compte tenu de la répression accrue exercée sur les collectivités qui défendent leur territoire, leur eau et leur bien-être contre les effets des activités minières », ajoute Jen Moore, coordonnatrice pour l’Amérique latine à Mines Alerte Canada. « Les organisations d’Amérique latine insistent pour qu’on tienne ces entreprises responsables de leurs actes, mais également pour qu’on arrête les dommages avant même qu’ils ne se produisent. »

Voici quelques-unes des principales recommandations formulées par les signataires :

  • Respecter les droits des communautés autochtones à l’autodétermination et au consentement préalable, libre et éclairé avant que toute activité minière ne se déroule sur leur territoire et respecter le droit des communautés non autochtones de refuser les opérations minières.
  • Mettre fin à toutes les formes d’appui gouvernemental – qu’il s’agisse de développement, de commerce, d’assistance technique ou de diplomatie – visant à influencer l’adoption ou la modification de cadres réglementaires dans les pays ciblés par des projets extractifs.
  • Intégrer les normes internationales en matière de droits de la personne et de transparence dans la réglementation des agences de crédit ou des investissements publics et privés qui financent les activités extractives, et imposer des garanties de protection aux entreprises subventionnées par l’État.
  • Garantir un accès efficace aux cours de justice canadiennes afin de permettre aux victimes dont les droits ont été violés par des entreprises canadiennes à l’étranger d’obtenir justice, vérité et réparation intégrale.
  • Créer des mécanismes neutres, impartiaux et efficaces qui permettent d’assurer un suivi et de mener enquête suite aux dénonciations de violations des droits découlant des actions des entreprises minières canadiennes à l’étranger.
  • Mettre fin à la pratique de négocier des accords de libre-échange et d’investissement qui favorisent la protection et la promotion des intérêts des entreprises minières canadiennes au détriment des personnes et de l’environnement. En particulier, s’abstenir de promouvoir des mécanismes d’arbitrage international qui permettent aux investisseurs étrangers de protéger leurs investissements et de se soustraire à la réglementation et à leur responsabilité pour les violations de droits.

En plus d’être transmise au premier ministre, la lettre sera acheminée aux ambassades du Canada dans les pays concernés.

Texte de la lettre au Premier Ministre Trudeau

25 Avril 2016

Le très honorable Justin Trudeau, Premier ministre du Canada; Ottawa, Ontario

Monsieur le Premier Ministre,

Nous avons l’honneur d’exprimer notre satisfaction pour le changement au scénario politique qui a suivi votre élection comme chef du gouvernement canadien et pour les gestes posés par votre gouvernement en appui aux droits humains. Nous saluons aussi votre choix de former un cabinet ministériel diversifié, avec un nombre inédit de femmes et deux ministres autochtones; vos déclarations concernant la question migratoire et les crises humanitaires de pays en proie avec des conflits internes; votre engagement à privilégier une relation de « nation à nation » entre le gouvernement et les peuples autochtones, débutant par l’adoption de la Déclaration des NationsUnies sur les droits des peuples autochtones; le retour constructif du Canada dans les négociations sur les changements climatiques et, en général, votre disposition à repenser les politiques du Canada en matière de droits humains et de droits autochtones.

Toutefois, en tant qu’activistes, organisations latino-américaines, réseaux et organisations internationales qui travaillent avec alliés d’Amérique latine, nous sommes au fait et préoccupés par les violations des droits humains commis par des compagnies minières canadiennes dans la région. En raison de notre expérience et de notre connaissance du terrain, et sachant que nous partageons certains principes universels de droits humains et de justice qui transcendent les frontières, nous vous transmettons les observations et recommandations suivantes.

Plusieurs études publiées au cours des dernières années ont analysé quel sont le rôle et les responsabilités du gouvernement canadien dans ces violations des droits humains compte tenu de son appui politique, financier ou diplomatique à des entreprises canadiennes qui sont impliquées dans ces situations. À titre d’exemple, en avril 2014, une coalition d’organisations d’Amérique latine, avec le soutien d’ONG et d’institutions académiques basées au Canada, ont publié un rapport intitulé L’impact de l’industrie minière canadienne en Amérique latine et la responsabilité du Canada. Ce document a été remis à la Commission interaméricaine des droits humains ainsi qu’à la mission du Canada à l’Organisation des États américains, à la Chancellerie du Canada et aux ambassades canadiennes des pays où se situent les 22 projets miniers étudiés, soit le Mexique, le Guatemala, le Honduras, le Salvador, la Colombie, le Chili, l’Argentine et le Pérou [1] .

Ce rapport reconnaît les efforts de plusieurs parlementaires, dont des membres du Parti Libéral du Canada, pour l’adoption d’un cadre législatif qui permette d’établir efficacement la reddition de comptes des entreprises minières pour leurs agissements à l’étranger. En ce sens, se démarque le Projet de loi C-300 présenté par John Mackay MP et que vous-même avez appuyé. Ce projet de loi avait pour objectif de s’assurer que les entreprises du secteur extractif appuyées par le gouvernement du Canada respectent les standards internationaux en matière d’environnement et de droits humains. Vous vous souvenez de la pression exercée par le puissant lobby du secteur extractif. Le projet a été défait seulement par six voix [2] , ce qui montre l’importance que beaucoup de membres du Parlement et de la société canadienne accordent à ce sujet.

En novembre 2014, une audience publique intitulée Impacts des activités des entreprises minières canadiennes sur les droits humains en Amérique latine, a eu lieu à la Commission interaméricaine des droits humains (CIDH). Lors de cette audience, des organisations de la société civile et des représentants du milieu académique canadien [3] ont soulevé la nécessité que le Canada prenne des mesures concrètes afin de prévenir et de réparer les impacts des activités des entreprises canadiennes en Amérique latine sur les droits humains. Dans son résumé de la période de sessions, la CIDH a souligné l’importance, pour les États d’où proviennent les entreprises transnationales, notamment le Canada, de prendre des mesures afin de prévenir les violations des droits humains dans leurs opérations à l’étranger.

En plus de ces mentions au CIDH, des comités thématiques et des rapporteurs spéciaux du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies ont souvent souligné le rôle joué par le gouvernement canadien dans les violations perpétrées par les entreprises minières. D’ailleurs, l’une des principales préoccupations du comité des Nations Unies sur les droits de l’homme soulignées dans le rapport remis en juillet dernier dans le cadre de l’examen périodique universel du respect par le Canada du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, faisait état de l’absence de mécanismes efficaces destinés à prévenir et à diminuer les violations commises par les filiales des entreprises minières canadiennes situées dans les territoires de tiers pays.

Au cours du dernier mois, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU a publié son sixième rapport périodique sur le Canada, et a recommandé que le pays renforce la législation régissant les activités à l’étranger des entreprises enregistrées ou domiciliées dans leur juridiction. Le Comité a également recommandé au Canada « l’établissement des mécanismes efficaces pour enquêter sur les plaintes contre ces entreprises, ainsi que la mise en place des mesures législatives nécessaires pour faciliter l’accès à la justice des victimes de ces sociétés devant les juridictions nationales [4] ».

Ces exemples démontrent comment, sous le gouvernement précédent, les agissements du Canada en matière de droits humains se sont considérablement détériorés et ce non seulement aux yeux de la communauté internationale, mais aussi face aux personnes, peuples et communautés qui subissent les impacts négatifs des projets extractifs menés par les entreprises canadiennes.

Considérant l’attention que votre gouvernement a porté pour le respect des droits humains et des droits autochtones depuis votre arrivée en fonction, nous vous demandons de mettre en œuvre des immédiates réformes législatives et administratives qui permettront de réguler de façon plus efficace les actions des entreprises minières canadiennes dans leurs opérations à l’étranger. Nous recommandons plus particulièrement de :

  • Mettre en place des mesures qui garantissent que les entreprises minières canadiennes qui ont des activités en Amérique latine agissent conformément aux traités internationaux de droits humains auxquels ont adhérés les pays hôtes et le gouvernement canadien. Due à la multiplication des conflits dans la région, il est essentiel que le gouvernement canadien et les compagnies minières respectent les droits des peuples autochtones à l’autodétermination et au consentement préalable, libre et éclairé des communautés affectées.
  • Respecter les décisions de nombreuses communautés autochtones et non autochtones de refuser les opérations minières à grande échelle sur leur territoire, à cause des dommages sévères que cette industrie cause à l’environnement et au bien-être social.
  • Mettre en œuvre les recommandations du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international en 2005 [5] .
  • Mettre fin aux interventions canadiennes et n’accorder aucune forme d’appui gouvernemental, soit à travers des programmes de développement, des accords commerciaux et/ou d’association, soit par un financement public ou d’assistance technique, qui puisse influencer l’adoption ou la modification de cadres régulateurs des pays visés par des projets extractifs.
  • Intégrer les standards internationaux en matière de droits humains et de transparence dans la régulation des agences de crédit ou d’investissement public et privé qui financent les activités extractives et imposer des conditions aux entreprises qui sont subventionnées par l’État.
  • Garantir un accès efficace aux cours de justice canadiennes afin de permettre aux victimes de violations des droits humains causées par des entreprises canadiennes à l’étranger d’obtenir justice, vérité et réparation intégrale.
  • Créer des mécanismes neutres, impartiaux et efficaces qui permettent d’ assurer un suivi et des enquêtes suite aux dénonciations de violations des droits humains, individuels et collectifs causées par les actions des entreprises minières canadiennes à l’étranger. De tels mécanismes devraient être conçus conformément aux Principes de Paris sur le statut et le fonctionnement des institutions nationales de droits humains.
  • Mettre fin aux initiatives de traités de libre-échange et d’accords d’investissement qui favorisent la protection et la promotion des intérêts des entreprises minières canadiennes au détriment des droits humains, individuels et collectifs et de la protection de l’environnement.
  • S’abstenir de mettre de l’avant des mécanismes d’arbitrage international qui deviennent de puissants outils de protection des investissements étrangers qui profitent de l’absence de mécanismes effectifs de reddition de comptes des dommages causés aux droits humains.
  • Après plusieurs années de fermeture au dialogue et d’absence d’autocritique sous le gouvernement canadien antérieur, nous espérons que vos convictions s’imposeront face aux intérêts corporatifs. De telles mesures feraient en sorte que le Canada soit reconnu comme étant une nation guidée par le respect des droits humains.

Veuillez agréer, Monsieur le Premier Ministre, nos salutations distinguées.

Notes

1 Une version imprimée du rapport ainsi qu’une synthèse de celui-ci se trouvent en annexe de la présente lettre.

2 Voir http://www.miningwatch.ca/article/bill-c-300-high-water-mark-mining-and-government-accountability

3 Mining Watch Canada, Justice and Corporate Accountability Project y Halifax Initiative.

4 Voir, Comité de droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU, E/C.12/CAN/CO/6, 4 Mars 2016.

5 À ce sujet, voir: http://www.miningwatch.ca/article/corporate-accountability-canada-miningwatch-archive .

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Liste d’organisations signataires (PDF) :

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