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Commentaire sur le Projet de loi S-211 de Professeure Penelope Simons

L’honorable John McKay a déclaré que le projet de loi S-211, « la Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaines d’approvisionnement et modifiant le Tarif des douanes » exige qu’une entité canadienne examine sa chaîne d’approvisionnement, qu’elle veille à ce qu’elle ne comporte aucun produit issu du travail forcé…et qu’un PDG doit faire une déclaration à cet effet. Une fausse déclaration d’un PDG aurait le même impact qu’une fausse déclaration d’un comptable ».1

Cette déclaration est toutefois inexacte et elle présente les obligations imposées aux entreprises de manière erronée.

Le projet de loi ne prévoit aucune obligation d’examiner la chaîne d’approvisionnement ni de veiller à ce qu’elle ne comporte aucun produit issu du travail forcé. Il n’y également pas de déclaration faite et signée par le PDG « à cet effet ». Le PDG doit seulement divulguer les mesures prises ou les processus mis en place pour remédier ou lutter contre le travail forcé dans les chaînes d’approvisionnement. Bien que les entreprises puissent se voir imposer une amende pour avoir fourni des informations fausses ou trompeuses, les informations qu’elles sont tenues de transmettre ne portent pas sur l’utilisation du travail forcé ou du travail des enfants dans leurs chaînes d’approvisionnement. Les informations qu’elles doivent fournir concernent simplement les politiques en place et les mesures prises par l’entreprise, le cas échéant, pour réduire le risque de travail forcé.

En vertu de cette loi, les entreprises sont seulement tenues de présenter un rapport annuel « sur les mesures prises par celles-ci au cours du dernier exercice pour prévenir et atténuer le risque relatif au recours au travail forcé ou au travail des enfants à l’une ou l’autre étape de la production de marchandises au Canada ou à l’étranger. »  Le rapport doit inclure, entre autres, « les politiques et les processus de diligence raisonnable de l’entreprise » et « l’ensemble des mesures prises pour remédier à tout recours au travail forcé ou au travail des enfants » 2 et il doit être rendu public. 3

Si une entreprise ne dispose pas de politique en matière de travail forcé ou de travail des enfants et/ou si de telles mesures n’ont pas été prises, il lui faudra seulement en faire rapport. Ce n’est que si une entreprise omet de fournir un rapport et de le rendre public ou que si elle fournit des informations fausses ou trompeuses qu’elle peut être passible d’une amende pouvant atteindre 250 000 dollars. 4

Les prescriptions de ce projet de loi ne répondent pas aux obligations du Canada en matière de protection des droits de la personne, elles ne respectent pas non plus les principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme.5 Ce projet de loi s’inspire des législations britanniques et australiennes portant sur le signalement de l’esclavage moderne. À travers ce type de législation, on espère inciter les entreprises (et leurs dirigeants) à prendre des mesures pour éliminer les risques de travail forcé et de travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement.

Des études récentes démontrent que ce type de législation n’a pas atteint le but visé. Aussi, dans le cadre de l’étude du Centre de ressources sur les entreprises et les droits de l’homme (BHRRC) portant sur la conformité des entreprises à la loi britannique sur l’esclavage moderne (le Modern Slavery Act), 16 000 rapports d’entreprises ont été évalués sur une période de cinq ans. La transparence est essentielle, mais elle « ne suffit même pas à empêcher les pires formes de maltraitance ou d’abus au travail » 6, comme le souligne le BHRRC qui a conclu que la législation « a failli à ses intentions déclarées ». 7

De même, une étude du Human Rights Law Centre (Centre sur les droits de la personne) en collaboration avec d’autres organismes a examiné 102 rapports soumis en vertu de la loi australienne sur l’esclavage moderne de 2018 (le Modern Slavery Act) par des entreprises œuvrant dans les secteurs du vêtement, des soins de santé, de l’horticulture et des produits de la mer qui présentent des « risques connus d’esclavage moderne ». 8 L’étude a révélé que 1) la majorité des entreprises établissent des rapports superficiels, non conformes aux critères de déclaration obligatoires ; 2) plus de la moitié des « entreprises examinées (52 %) [ont] omis d’identifier et de divulguer les principaux risques sectoriels associés à leurs activités et à leurs chaînes d’approvisionnement » ; et 3) moins de 30 % des entreprises dont les rapports ont été examinés « peuvent démontrer qu’elles [ont pris] quelconques mesures contre les risques d’esclavage moderne qui [puissent améliorer] les conditions de travail des fournisseurs ou [s’attaquer] aux causes profondes ».9

Penelope Simons, Professeure et titulaire de la Chaire Gordon F. Henderson sur les Droits de la personne, Faculté de droit et Centre de recherche et d’enseignement sur les droits de la personne, Université d’Ottawa

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1 Comité permanent du commerce international : « Considérations relatives à l’environnement et aux droits de la personne au sein des sociétés minières canadiennes à l’étranger », transcription gratuite de la vidéo de l’audience tenue le 9 février 2023, en ligne : https://www.noscommunes.ca/Committees/fr/CIIT/StudyActivity?studyActivityId=11910674, à 16:47.
2 Projet de loi S-211, Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaines d’approvisionnement et modifiant le Tarif des douanes, art. 11.
3 Ibid., art. 13.
4 Ibid., art. 19.
5 Doc. ONU A/HRC/17/31 (2011), Principes directeurs, p.17-21.
6 Business and Human Rights Resource Centre, « Modern Slavery Act: Five Years of Reporting – Conclusions from Monitoring Corporate Disclosure » (2021) 2, en ligne: https://www.business-humanrights.org/en/from- us/briefings/uk-modern-slavery-act-missed-opportunities-and-urgent-lessons/.
7 Ibid., 3.
8 Human Rights Law Centre et al., « Paper Promises? Evaluating the Early Impact of Australia’s Modern Slavery Act » (6 février 2022), 2, en ligne: https://www.hrlc.org.au/reports/2022/2/3/paper-promises-evaluating-the- early-impact-of-australias-modern-slavery-act.
9 Ibid.

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