Photo: Une femme de la communauté de San Sebastian, Huehuetenango, devant un panneau exprimant son opposition à l’exploitation minière à ciel ouvert. Le panneau dit « San Sebastian défend son territoire. Non à l’exploitation minière ». Crédit : Amnistie internationale.
Mine Marlin de Goldcorp Inc. – Contamination de l’environnement et violations des droits humains
Une étude de cas par le Réseau canadien sur la reddition de comptes des entreprises (RCRCE)
Publié : Février 2023
Étude 6 de 6 [1]
La mine d’or et d’argent Marlin est située dans le nord-ouest du Guatemala, chevauchant les municipalités de Sipacapa et San Miguel Ixtahuacán, San Marcos.[2] Entre 2005 et 2017, elle était exploitée et détenue à 100 % par Montana Exploradora, une filiale de la société minière canadienne Glamis Gold Ltd.[3] En 2006, Marlin a été achetée par le géant minier canadien Goldcorp Inc. Le siège social de Goldcorp était situé à Vancouver et la société était inscrite à la Bourse de Toronto. La fermeture et la remise en état de la mine ont commencé en juin 2017[4] et la société a été acquise par Newmont Corporation en 2019.
Sommaire
- Depuis l’obtention de son premier permis en 2003, le projet a suscité une forte opposition communautaire de la part de la population majoritairement autochtone maya. Les préoccupations exprimées aux niveaux local, national et international portaient sur l’absence de consultation de la population locale, les communications publiques trompeuses au sujet du projet, les impacts sur les sources d’eau locales et l’augmentation de la violence et des conflits dans la zone autour de la mine.
- En 2010, la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH), qui fait partie de l’Organisation des États américains, dont le Canada et le Guatemala sont membres, a demandé la suspension de la mine ; cependant, le gouvernement guatémaltèque ne s’est finalement pas conformé et Goldcorp a continué à fonctionner, malgré l’opposition continue et les preuves croissantes d’une contamination environnementale potentielle.
- Selon des allégations bien documentées faites en 2017 par le Front de défense de San Miguel, un groupe communautaire actif, les opérations de la mine ont fait disparaître 10 sources d’eau ; causé des fissures dans les infrastructures de 500 maisons familiales ; et causé des impacts cutanés chez les enfants dûs à l’eau prétendument contaminée.[5] À ce jour, certains membres de la communauté n’ont toujours pas accès à l’eau potable.
- La mine a fermé en juin 2017 et il était prévu que les efforts de restauration devaient être achevés d’ici la fin de 2020 et que Newmont Gold quitterait officiellement en 2026. Des groupes de la société civile rapportent qu’au moment de la fermeture, Goldcorp n’avait mis en œuvre que 24 des 42 recommandations reliées à la fermeture de la mine décrites dans sa propre évaluation des droits humains (HRA) de 2010,[6] un exemple flagrant de l’échec des mécanismes non contraignants de signalement des violations des droits humains.
- L’opacité de Goldcorp et de Newmont vis-à-vis le processus de fermeture de la mine et le manque de surveillance gouvernementale posent un risque permanent pour les communautés touchées, qui doivent faire face aux impacts environnementaux à long terme.[7]
Le contexte détaillé
En janvier 2005, Raul Castro Bocel a été tué par balle et au moins 20 autres personnes ont été blessées lorsqu’environ 1 200 soldats et 400 policiers ont ouvert le feu sur des manifestants non armés.[8] Depuis 40 jours, les manifestants bloquaient le passage du matériel minier destiné à la mine Marlin. Il était clair que l’intention du gouvernement était de protéger cet investissement à tout prix, tout en ignorant les préoccupations de l’opposition locale concernant les dommages environnementaux potentiels.
Les communautés rejettent la mine Marlin
Lorsque Goldcorp Inc. a fait l’acquisition de la mine Marlin en 2006, le projet avait déjà suscité un certain nombre de préoccupations de la part de la population avoisinante, en grande partie autochtone,[9] notamment le fait que le gouvernement guatémaltèque n’avait pas consulté la population autochtone touchée par la mine. En juin 2005, la municipalité de Sipacapa a organisé un plébiscite pour remédier au manque de consultation, votant presque à l’unanimité contre la mine.[10] Glamis Gold a déposé une injonction contre le vote, qui a été rejetée ; cependant, une action en justice intentée par le ministère de l’Énergie et des Mines quelques jours avant le vote a abouti à une décision de la Cour constitutionnelle de mai 2007 selon laquelle les résultats n’étaient pas juridiquement contraignants et, par conséquent, insuffisants pour arrêter les opérations de la mine.[11] La mine Marlin a donc continué à fonctionner, malgré le rejet local, et pendant plus d’une décennie est devenue un point de mire de l’opposition locale et nationale à l’exploitation minière canadienne au Guatemala.[12] La violence et la tension se sont intensifiées surtout entre 2005 et 2011, faisant au moins quatre morts et des dizaines de blessés. Compte tenu du taux élevé d’impunité dans le pays, ces incidents n’ont jamais fait l’objet d’enquêtes complètes.[13]
Pendant ce temps, des dizaines de mandats d’arrêt ont été déposés contre des dirigeants communautaires et des manifestants.[14]
Tentatives formelles de soulever des préoccupations au sujet de la mine
Au fur et à mesure que les preuves des dommages potentiels de la mine sur les approvisionnements en eau locaux s’accumulaient,[15] les membres de la communauté et leurs alliés ont lancé un certain nombre de processus formels au niveau international, y compris une plainte auprès du Bureau du conseiller-ombudsman chargé de la conformité des projets soutenus par la Société financière internationale, en 2005 ;[16] et une demande d’examen en 2009 auprès du Point de contact national (PCN) du Canada pour les Principes directeurs de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE),[17] entre autres. Cependant, aucun de ces processus n’a donné lieu à une enquête indépendante.
Enfin, le 20 mai 2010, la Commission inter-américaine des droits de l’homme (CIDH) a répondu à une pétition déposée en 2007 par 13 communautés avoisinantes de la mine, qui a ensuite été étendue à d’autres communautés. La Commission appelait le gouvernement guatémaltèque à suspendre les opérations de la mine ; à mettre en œuvre un certain nombre de mesures pour prévenir la contamination de l’environnement et à répondre aux préoccupations en matière de santé et de sécurité.[18] Un mois plus tard, après une visite au Guatemala, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme et des libertés fondamentales des peuples autochtones, James Anaya, exhortait le gouvernement guatémaltèque à agir conformément aux directives de la CIDH et à mener une enquête sur les allégations selon lesquelles la mine Marlin avait un impact négatif sur les peuples autochtones.[19]
Dans un geste qui a suscité l’indignation nationale et internationale, le gouvernement guatémaltèque a finalement décidé de ne pas adhérer aux directives de la CIDH et a refusé de suspendre la mine.[20] Le gouvernement a justifié sa décision par un « examen administratif » qu’il a mené, qui comprenait un examen présumé de 23 études qui n’ont jamais été rendues publiques – démontrant un manque évident de transparence.[21] Pour sa part, Goldcorp avait lancé sa propre évaluation des droits humains (HRA) en 2007, qui a été publiée trois jours avant la réponse de la CIDH, le 17 mai 2010. L’évaluation appelait elle aussi à un « arrêt » des activités, citait diverses violations des droits humains et notait un « échec systémique à répondre aux griefs des communautés. »[22] Elle constatait que les rapports des autorités gouvernementales sur la qualité de l’eau n’avaient pas fourni de preuves concluantes quant aux risques potentiels que pouvait présenter la mine pour la santé. Malgré ces conclusions, l’entreprise n’a pas mis en œuvre plusieurs des principales recommandations du rapport, en particulier l’arrêt des acquisitions de terres, de l’exploration et de l’expansion de la mine.[23] Par la suite, en décembre 2011, la CIDH a levé son ordonnance de suspension et a plutôt exigé que Goldcorp adopte les mesures nécessaires pour assurer que les communautés avoisinantes aient accès à l’eau potable.
Réaction des organisations internationales et canadiennes
Depuis 2004, les organisations internationales et les réseaux de solidarité suivent de près les développements à la mine Marlin, déclenchant d’innombrables sonnettes d’alarme. Au Canada, les organisations ont signé des appels d’action urgente[24] à l’intention des responsables guatémaltèques et canadiens, rédigé des rapports et rencontré à de nombreuses reprises des députés canadiens et le personnel d’Affaires mondiales Canada à Ottawa et au Guatemala. Les actionnaires de Goldcorp ont eux-mêmes ont présenté des résolutions appelant à la suspension de la mine en 2008 et 2011[25] en raison de préoccupations liées à la violation du droit au consentement libre, préalable et éclairé et à l’augmentation de la violence et des risques environnementaux, et une autre en 2012 appelant l’entreprise à augmenter son budget d’assainissement de l’eau pour la fermeture de la mine de 2 millions de dollars US à 30 millions de dollars US en raison de préoccupations liées aux impacts à long terme sur la santé des communautés.[26] Aucune de ces actions, cependant, n’a affecté les opérations à la mine. En réponse à une lettre de préoccupation d’Amnesty International de 2014 concernant les tensions en cours, Goldcorp déclarait que l’entreprise ne croyait pas qu’une « tension significative persiste » et a imputé toute résistance continue aux « étrangers » à la communauté et aux campagnes de désinformation.[27] Des organisations canadiennes ont lancé une révision judiciaire pour avoir accès à des informations concernant le rôle du gouvernement canadien dans cette saga.[28]
Qu’en serait-il si …?
Si le Canada disposait d’une loi sur la diligence raisonnable obligatoire en matière de droits humains et d’environnement, qu’est-ce qui serait différent pour les communautés touchées par la mine Marlin de GoldCorp au Guatemala ?
- L’entreprise aurait été légalement tenue de respecter le droit des membres de la communauté au consentement libre, préalable et éclairé, à un environnement sain, sûr et durable – y compris à l’eau potable – et d’être à l’abri de la violence et des lésions corporelles.
- Si ces droits avaient été ignorés par Goldcorp, les membres des communautés et leurs alliés auraient pu demander justice devant un tribunal canadien.
- Les communautés touchées n’auraient pas à compter uniquement sur la possibilité que le gouvernement du Guatemala – lui-même sujet à des allégations de corruption – soit finalement amené à fournir une compensation et un accès à l’eau potable après des années d’organisation locale. Elles auraient eu un droit légal d’accéder à la justice au Canada pour demander une indemnisation pour les préjudices subis.
Comment?
Goldcorp aurait été obligée de mettre en place des mesures pour assurer le respect des droits humains et de l’environnement dans l’ensemble de ses opérations mondiales et de ses chaînes d’approvisionnement et d’exercer une diligence raisonnable fondée sur les risques pour identifier, prévenir, cesser et atténuer le risque d’ impacts négatifs sur l’environnement et les droits humains par ses filiales, et d’en rendre compte.
IDENTIFIER ET ÉVALUER :
Si Goldcorp avait entrepris une évaluation adéquate des risques, elle aurait identifié :
- l’histoire de violence et de discrimination systémiques du gouvernement guatémaltèque à l’encontre de la population autochtone maya, en particulier autour de projets miniers et hydroélectriques,[29] et donc le risque élevé que le gouvernement guatémaltèque ne consulte pas comme il se doit les communautés touchées avant d’approuver un permis minier et que l’exploitation de la mine malgré l’opposition locale pourrait conduire à l’agitation sociale, à la violence et à des violations des droits humains ;
- que le manque de surveillance transparente de l’environnement rend difficile pour les communautés l’accès aux informations sur les impacts potentiels de la mine et l’accès aux recours en cas de dommages environnementaux à long terme et d’impacts sur la santé ;
- elle aurait pu identifier la nécessité d’une évaluation indépendante de l’impact sur les droits humains et assurer que toutes les conclusions de rapports clés similaires liés aux droits humains et aux impacts environnementaux soient mises à la disposition et accessibles aux communautés touchées.
PRÉVENIR, ATTÉNUER, RENDRE COMPTE :
Goldcorp aurait été tenue de prendre des mesures pour assurer la prévention des impacts négatifs graves sur l’environnement, les droits humains et la santé à long terme des communautés entourant son projet Marlin, par exemple :
- en utilisant son influence auprès du gouvernement guatémaltèque pour assurer que les communautés soient correctement consultées conformément au droit international et coutumier ;
- en mettant en place des mécanismes réguliers de surveillance indépendante et transparente des droits humains et de l’environnement, ainsi que des mécanismes sérieux de responsabilisation ;
- en réparant les préjudices survenus en payant pour réparer les dommages prétendument causés par les activités de sa filiale (par exemple, les coûts de réparation des maisons, des traitements de santé, des infrastructures pour fournir un accès à l’eau potable et / ou pour garantir la mise en place de procédures de fermeture sûres et approfondies)
Goldcorp aurait été obligée de mettre en place des politiques et des procédures pour atténuer les risques futurs, notamment :
- en assurant la mise en place d’un mécanisme de surveillance et de contrôle pour assurer le respect des recommandations de son propre processus d’évaluation des risques pour les droits humains, ou en assurant dès le départ que l’évualtion des droits humains soit totalement indépendante.
Si Goldcorp avait omis de prendre des mesures concrètes pour prévenir ou atténuer les abus, les membres des communautés ou les organisations de défense des droits humains et de l’environnement qui les soutiennent auraient pu demander justice devant un tribunal canadien, et Goldcorp aurait été tenue de rendre compte des mesures qu’elle avait prises, et de les défendre, pour prévenir les préjudices causés par sa filiale.
Goldcorp serait tenue responsable du degré de conformité de ses procédures de diligence raisonnable, notamment :
- le fait de ne pas avoir cessé les opérations devant une opposition à grande échelle qui a entraîné la mort, des blessures et d’autres préjudices envers la population autochtone et les dirigeants communautaires ;
- le fait de ne pas avoir mis en place des mesures de sécurité environnementale appropriées malgré des preuves significatives indiquant le risque de dommages environnementaux, y compris la contamination des sources d’eau et la diminution de l’accès à l’approvisionnement en eau potable et / ou le fait de ne pas avoir cessé les opérations si les mesures de prévention et d’atténuation s’avéraient insuffisantes ;
- le fait de ne pas avoir mis en place des mesures d’atténuation raisonnables telles que la fermeture appropriée de la mine et une compensation financière suffisante aux communautés locales pour les coûts de restauration environnementale.