L’image du Canada est entachée par la question des droits humains
Depuis des années, les multinationales canadiennes sont mises en cause dans de graves violations des droits humains et dommages environnementaux dans le monde entier. Les communautés et les travailleurs qui subissent ces préjudices sont souvent incapables d’accéder à des voies de recours ou à des mesures de réparation, tandis que les défenseurs des droits humains et de l’environnement qui dénoncent les agissements de ces puissantes entreprises sont fréquemment victimes de violence, d’intimidation ou de criminalisation.
Les atteintes aux droits persistent malgré des décennies de pressions du public et d’innombrables promesses des entreprises quant à leur volonté de respecter des codes volontaires de conduite responsable. Depuis plus de dix ans, le gouvernement canadien « attend des entreprises canadiennes actives à l’étranger qu’elles respectent » les droits humains dans leurs opérations à l’échelle internationale. [1] Les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, adoptés à l’unanimité en 2011, ont établi des normes mondiales claires qui définissent les responsabilités des entreprises pour prévenir et éviter les préjudices potentiels, et remédier aux préjudices lorsqu’ils se produisent. Pourtant, en l’absence de règles contraignantes ayant pour effet d’inscrire ces principes dans la législation canadienne, les entreprises se soustraient trop souvent à leurs responsabilités. Les risques et les vulnérabilités auxquels sont confrontées les communautés à l’étranger n’ont fait que s’aggraver avec la crise sanitaire mondiale de la COVID-19.
Les travailleurs, les femmes, les peuples autochtones, les défenseurs des droits humains et de l’environnement, ainsi que d’autres communautés marginalisées dont les droits sont minés par de puissantes sociétés ne peuvent plus attendre que le Canada prenne des mesures pour remédier aux violations des droits par les entreprises. Le Canada a le devoir d’agir, et de toute urgence.
L’approche inefficace du Canada est en décalage avec les tendances mondiales
Le Canada prétend prendre au sérieux ses obligations internationales, mais il n’a toujours pas mis en place de mécanisme ou de politique visant à s’assurer que les entreprises respectent les droits humains et l’environnement à l’étranger. Le Canada continue de s’appuyer sur une série de mesures volontaires visant à promouvoir une conduite responsable des entreprises. Pourtant, l’expérience montre que les mesures volontaires ne suffisent pas à freiner les abus commis par les entreprises.
En continuant de s’en tenir à des mesures volontaires inefficaces, le Canada prend du retard sur les leaders mondiaux.
Pour mettre fin à l’impunité liée aux agissements des entreprises, plusieurs pays européens, dont certains des principaux partenaires commerciaux du Canada, ont adopté ou travaillent à adopter des lois obligeant les entreprises à examiner toutes leurs activités commerciales, à identifier les risques réels et potentiels pour les personnes et la planète, à prendre des mesures pour atténuer et éviter ces risques, ainsi qu’à garantir l’accès à un recours pour les personnes lésées par leurs activités. C’est ce qu’on appelle la diligence raisonnable des entreprises en matière de droits humains et d’environnement.
Divers experts, notamment le vice-président du Groupe de travail des Nations Unies sur les entreprises et les droits de l’homme, Surya Deva, ont clairement fait savoir que le Canada ne pourra prétendre être un leader en matière de promotion du respect des droits humains par les entreprises tant et aussi longtemps qu’une telle loi n’aura pas été adoptée. Le Sous-comité des droits internationaux de la personne du Parlement canadien a également dénoncé le fait que le Canada se fie exclusivement à des mesures volontaires pour remédier aux atteintes aux droits commises par des entreprises canadiennes à l’étranger. Dans un récent rapport, les membres du comité issus des quatre grands partis fédéraux ont fait écho à l’appel de Surya Deva en demandant qu’Ottawa « adopte une loi obligeant les entreprises canadiennes à faire preuve de diligence raisonnable » pour remédier aux conséquences négatives que peuvent entraîner leurs chaînes d’approvisionnement et leurs activités dans le monde. [2]
Le moment est venu d’adopter une loi contraignante en matière de droits humains
S’appuyant sur cet élan mondial, ainsi que sur les éléments qui font consensus au sein de la société civile canadienne, le Réseau canadien sur la reddition de comptes des entreprises a publié un projet de loi modèle qui propose aux législateurs un plan pour inscrire dans la loi canadienne l’obligation des entreprises de respecter les droits humains et l’environnement.
Cette « Loi concernant le respect des droits humains et de l’environnement par les entreprises à l’étranger » donnerait un caractère exécutoire aux attentes du gouvernement canadien concernant la conduite des entreprises canadiennes à l’étranger. L’adoption d’une telle loi aiderait le Canada à remplir ses obligations internationales en matière de droits humains et à répondre aux exigences des trois piliers des Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme. [3] Elle permettrait aussi au Canada de rattraper ses alliés européens – dont l’Union européenne, l’Allemagne et la France – qui agissent comme chefs de file de l’élan mondial pour passer de mesures volontaires inefficaces à des lois complètes sur la diligence raisonnable en matière de droits humains.
Plus précisément, la proposition de loi vise à :
- Exiger des entreprises qu’elles prennent des mesures pour prévenir les incidences négatives sur les droits humains et les dommages environnementaux à tous les niveaux de leurs activités et de leurs chaînes d’approvisionnement mondiales;
- Exiger des entreprises qu’elles fassent preuve de diligence raisonnable, au moyen notamment d’un examen minutieux de la manière dont leurs activités sont susceptibles de contribuer à des violations des droits humains et des dommages environnementaux à l’étranger, et par un accès à des voies de recours en cas de préjudice;
- Donner lieu à des conséquences réelles pour les entreprises qui manquent à leur obligation de faire preuve de diligence raisonnable dans leurs activités et de rendre compte des mesures prises à cette fin;
- Instaurer pour les personnes ayant subi un préjudice un droit reconnu par la loi de s’adresser aux tribunaux canadiens pour obtenir justice.
Tant que les entreprises pourront continuer à tirer profit de la négligence ou de l’inconduite, les abus se poursuivront. L’adoption d’une loi fondée sur notre loi modèle changerait la donne en tenant les entreprises légalement responsables des coûts sociaux et environnementaux de leurs activités à l’étranger.
Notes
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Consulter la première stratégie du Canada en matière de RSE pour le secteur extractif à l’étranger (2009) : https://www.international. gc.ca/trade-agreements-accords-commerciaux/topics-domaines/other-autre/csr-strat-rse-2009.aspx?lang=fra
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Rapport n⁰ 8 du SDIR, juin 2021.
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Ces piliers comprennent l’obligation de l’État de protéger les populations contre les violations des droits humains (y compris celles qui mettent en cause des acteurs non étatiques comme les entreprises canadiennes), la responsabilité des entreprises de respecter les droits humains (et de faire preuve de diligence raisonnable dans l’exercice de cette responsabilité) et le droit des personnes touchées d’avoir accès à des voies de recours effectives.