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Le soutien diplomatique du Canada aux entreprises minières à l’étranger: le cas de Shin Imai c. Canada

Procès d’accès à l’information concernant l’intervention du Canada dans une affaire de droits de la personne contre Goldcorp au Guatemala

Le gouvernement canadien promeut activement et soutient les activités des compagnies extractives canadiennes. Cet appui prend diverses forms y compris le soutien politique (par ex., les ambassades et les délégations commerciales aident à ouvrir des portes à l’étranger).

Aperçu de l'affaire juridique

Le 2 mars 2021, la Cour fédérale du Canada entendra les arguments dans une poursuite visant à obtenir des informations sur la réponse du gouvernement canadien à une affaire de droits de la personne concernant une mine appartenant à une société canadienne au Guatemala. Le procès a été intentée par Shin Imai, professeur de droit à l’Université York et cofondateur du Justice & Corporate Accountability Project (JCAP), qui a d’abord tenté d’obtenir l’information par le biais de demandes d’accès à l’information en 2014.

Les documents divulgués à ce jour, bien que caviardés, montrent que des responsables canadiens sont intervenu en faveur de Goldcorp auprès de décideurs au Guatemala et à Washington après que la Commission des droits de l’homme de l’Organisation des États américains ait demandé la suspension des opérations de la mine Marlin, propriété de la société, en 2010. Le gouvernement guatémaltèque a fini par rejeter la demande de la Commission, qui visait à protéger les droits des communautés autochtones, et celle-ci a rétracté sa demande en 2011.

La poursuite soutient qu’Affaires mondiales Canada [1] a indûment retenu de l’information du public et que le Commissariat à l’information a commis une erreur en examinant le dossier et en concluant que les expurgations étaient justifiées en vertu de la Loi sur l’accès à l’information. Le professeur Imai demande au tribunal d’ordonner la divulgation de détails supplémentaires qui pourraient clarifier dans quelle mesure le Canada a pressé la Commission des droits de la personne et le gouvernement guatémaltèque d’agir dans l’intérêt de Goldcorp, sans tenir dûment compte des préoccupations des communautés autochtones. Ce faisant, le Canada a peut-être enfreint ses obligations internationales.

La contestation judiciaire de M. Imai a été développée par JCAP et est soutenue par les groupes de la société civile suivants: Above GroundAmnesty International Canada, le Réseau canadien sur la reddition de comptes des entreprises, Inter Pares, Mines Alerte Canada and the Le Fonds humanitaire des Métallos.

«La décision du gouvernement canadien de recourir aux tribunaux plutôt que de divulguer ces informations supplémentaires soulève la question: qu’a-t-il fait d’autre pour soutenir Goldcorp?» affirme Shin Imai du JCAP. «Le public devrait être en mesure de scruter les actions du gouvernement dans cette histoire, pour évaluer dans quelle mesure il a sapé les efforts des communautés autochtones pour défendre leurs droits.»

[1] Affaires mondiales Canada (AMC) a ainsi été nommée en 2015. De 2013 à 2015 il était connu sous le nom Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada. Auparavant (1995 à 2003) le nom était Affaires étrangères et Commerce international Canada (MAECI). Dans un souci de clarté, nous ustilisons le nom actuel tout au long du document.

Pourquoi cette cause est importante

La pousuite de M. Imai fait valoir qu’il est clairement dans l’intérêt public de divulguer l’information. Le public doit être en mesure de scruter dans quelle mesure le gouvernement canadien a agi au service des intérêts de Goldcorp, tout en sapant les efforts des communautés autochtones pour défendre leurs droits. Cette divulgation éclairerait les débats publics plus larges concernant l’influence de l’industrie minière sur la politique étrangère canadienne et le respect par le gouvernement de ses propres politiques et du droit international en matière de droits de la personne.

L’affaire met également en lumière des préoccupations d’ordre plus générales concernant le système d’accès à l’information du Canada, notamment l’utilisation généralisée d’exemptions pour éviter la responsabilité, la compétence et la rapidité dans les réponses du gouvernement aux demandes, et l’efficacité du Commissariat à l’information à garantir le droit du public d’accéder à l’information. La révision de la Loi sur l’accès à l’information présentement en cours doit répondre à ces préoccupations.

Chronologie des principaux événements

  • 2007 : Treize communautés autochtones proches de la mine présentent une pétition en justice [PDF en anglais ; original disponible en español] à la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) afin qu’elle intervienne pour protéger leurs droits.
  • 20 mai 2010 : La CIDH demande, par le biais de son mécanisme de mesures de précaution, que le Guatemala suspende les opérations de la mine dans un délai de 20 jours en raison de violations présumées des droits de la personne, de dommages environnementaux et d’impacts sur la santé.
  • Mai 2010 – septembre 2011 : Des ambassadeurs canadiens, des ministres et d’autres responsables s’engagent avec le gouvernement guatémaltèque et les représentants de la CIDH dans une série d’appels téléphoniques, de réunions, de lettres et de courriels axés sur la demande de la CIDH et la mine Marlin.
  • 23 juin 2010 : le Guatemala annonce qu’il pourrait se conformer à la demande de suspension de la mine, mais n’y donne pas suite.
  • 25 octobre 2010 : La CIDH tient une audience pour examiner l’affaire plus en détail.
  • Décembre 2011 : La CIDH modifie les mesures de précaution demandées qui n’incluent plus la suspension des opérations minières.
  • 2014-2015 : Le professeur Imai dépose une demande d’accès à l’information, puis une plainte auprès du Commissariat à l’information concernant le traitement de la demande par Affaires mondiales Canada.
  • Juin 2019 : Le Commissariat à l’information conclut que la décision d’Affaires mondiales Canada de caviarder certaines parties des documents est conforme à la Loi sur l’accès à l’information.
  • Juillet 2019 : Le professeur Imai demande à la Cour fédérale du Canada une révision judiciaire de la décision du Canada de retenir l’information.

La mine Marlin et sa quasi-suspension

La mine Marlin a été exploitée dans le nord-ouest du Guatemala de 2005 à 2017. Goldcorp a acquis le projet en 2006. Les opérations de la mine ont eu un impact sur deux municipalités qui comprennent des centaines de villages peuplés en grande majorité par des peuples autochtones.

La CIDH a exhorté le Guatemala en mai 2010 à suspendre les activités de la société en réponse à une pétition de 13 de ces communautés. La pétition alléguait que les communautés n’avaient pas été consultées avant l’octroi des concessions minières et que les activités minières épuisaient et contaminaient leurs ressources en eau et nuisaient à la santé des résidents locaux. La Commission a ordonné la fermeture à titre de mesure de précaution urgente [2] pendant qu’elle examinait l’affaire plus en détail. Elle demandait également au Guatemala de prendre toutes les mesures nécessaires pour «garantir la vie et l’intégrité physique» des communautés autochtones touchées, en particulier en décontaminant leurs sources d’eau et en garantissant l’accès à l’eau potable et aux soins médicaux, le cas échéant.

Les habitants avaient également exprimé leur opposition à la mine par le biais de référendums, de blocus et de marches, dont une qui a rassemblé des centaines de manifestants à l’ambassade du Canada dans la ville de Guatemala en 2010. Entre 2005 et 2011, plusieurs personnes qui s’étaient prononcées contre la mine ont été battues, blessées, abattues ou tuées.

Au début, il est apparu que le Guatemala pourrait se conformer à la demande de la CIDH de fermer la mine. Le gouvernement a annoncé en juin 2010 qu’il entamerait un processus administratif de suspension des opérations. Puis, en juillet 2011, il a signalé que son processus administratif n’avait pas identifié de preuves suffisantes pour étayer la suspension.

La CIDH a ensuite modifié sa demande, exhortant le gouvernement à «prendre les mesures nécessaires» pour s’assurer que l’eau des communautés ne soit pas contaminée par la mine, mais n’exigeant plus la suspension de ses opérations.

La mine a continué à fonctionner jusqu’en 2017, lorsqu’elle a atteint la fin de sa viabilité commerciale.

Les communautés touchées continuent de soulever de sérieuses préoccupations au sujet des impacts continus de la mine. Ces préoccupations concernent la contamination, les dommages aux bâtiments locaux et le manque d’accès à l’eau potable. Les membres des communautés soulèvent également des griefs au sujet des projets de «développement» locaux de Goldcorp et de leur incapacité à produire des avantages à long terme. Enfin, les résidents locaux expriment des inquiétudes quant à savoir si la mine sera fermée en toute sécurité et comment ils pourront obtenir réparation pour les impacts négatifs de la mine.

[2] Le mécanisme de mesures de précaution vise à assurer une réponse rapide dans les situations d’urgence où il existe un risque imminent de préjudice irréparable à des personnes ou à des groupes de personnes.

Ce que la divulgation du Canada a révélé

Le professeur Imai a présenté deux demandes d’accès à l’information en 2014, demandant la divulgation de communications entre des représentants du gouvernement canadien, l’ambassade du Canada au Guatemala, Goldcorp, la CIDH et les autorités guatémaltèques entre 2010 et 2011.

 Affaires mondiales Canada a remis cinq différentes trousses de documents à M. Imai à la suite de ses demandes et de sa plainte subséquente au Commissariat à l’information. Bien que de nombreux détails clés contenus dans ces documents soient caviardés, les courriels, les notes de briefing, les points de discussion et d’autres documents obtenus montrent que les responsables canadiens ont fait un lobbying intensif auprès des décideurs guatémaltèques et de la CIDH et ont aidé Goldcorp à faire de même.

Le gouvernement canadien ne voulait pas « être vu » comme intervenant dans l'affaire

En vertu de la Charte de l’Organisation des États américains, le Canada est tenu de ne pas intervenir dans les affaires des autres États membres ou de ne pas exercer de pression politique sur eux. Il doit également respecter l’indépendance de la CIDH et promouvoir la protection des droits de la personne. On a rappelé aux responsables canadiens l’importance de la non-ingérence dans les notes de briefing et les points de discussion leur ayant été fournis avant leurs discussions avec les responsables guatémaltèques et de la CIDH. Le chef de la CIDH lui-même semble avoir averti le Canada de ne pas s’ingérer dans les procédures.

Toutefois, la principale préoccupation du gouvernement canadien était de maintenir l’apparence de non-ingérence. Par exemple, l’ambassadeur du Canada auprès de l’OEA a écrit à ses collègues qu ’« il ne serait pas approprié que nous soyons perçus comme faisant du lobbying auprès de la CIDH au nom de Gold Corp [sic] ». Des notes d’information [briefing notes] préparées à l’intention du ministre du Commerce, Peter Van Loan, affirmaient qu ’« il n’est ni dans l’intérêt du Canada d’être perçu publiquement [sic] comme interférant dans les activités de la Commission ou encourageant le non-respect de ses décisions.”

Des membres du cabinet ont fait pression sur le gouvernement guatémaltèque et les responsables de la CIDH

L’ambassadrice du Canada au Guatemala, Leeann McKechnie, a appris la demande de la CIDH le 22 mai et a tenu une «réunion d’urgence» le jour même avec des représentants du gouvernement guatémaltèque. Elle a écrit à Ottawa le lendemain. Les responsables canadiens se sont alors engagés dans une vague de communications avec les décideurs guatémaltèques et de la CIDH, marquée par d’intenses périodes d’activité dans les semaines, les jours et même les heures qui ont précédé la réponse provisoire du Guatemala à la demande de la CIDH en juin 2010, et avant une audience la CIDH qui s’est tenue en octobre 2010 pour examiner l’affaire. Les responsables canadiens ont eu 17 communications documentées sur cette question avec des contacts du gouvernement guatémaltèque entre mai 2010 et septembre 2011.

La semaine avant que le Guatemala ne publie sa réponse provisoire, le ministre du Commerce Peter Van Loan a rencontré l’avocat de Goldcorp et a écrit au président et au vice-président guatémaltèques au sujet de l’affaire. L’ambassadrice McKechnie et le ministre d’État aux affaires étrangères, Peter Kent, ont tenu un appel d’urgence avec le vice-président du Guatemala quelques heures avant que le gouvernement guatémaltèque ne donne sa réponse car, selon l’ambassadrice, «rien n’est définitif tant qu’il n’a pas été annoncé».

Pendant ce temps, des responsables canadiens ont également communiqué avec le Secrétaire exécutif de la CIDH, qui était le principal décideur chargé de l’examen de l’affaire, et le ministre Kent a reçu un briefing afin de discuter de l’affaire lors d’une réunion avec des responsables de l’OEA à Washington peu de temps avant l’audience de la CIDH.

Les responsables canadiens ont présenté des arguments qui semblaient favoriser exclusivement la position de Goldcorp

Des points de discussion préparés pour l’appel du ministre Kent avec le vice-président du Guatemala, par exemple, proclament que «les sociétés minières canadiennes responsables, comme Goldcorp, opèrent dans des juridictions étrangères conformément non seulement aux lois et réglementations locales, mais également aux normes internationalement reconnues».

Des notes fournies au ministre Kent pour sa rencontre avec la CIDH à Washington indiquaient que «l’investissement important réalisé dans la mine Goldcorp Marlin» avait «un impact positif sur les Guatémaltèques» et louaient le «monitorage régulier de l’environnement» de Goldcorp. Les parties non caviardées ne font aucune mention de facteurs qui auraient pu faire en sorte que le Guatemala se conforme à la demande, comme une plainte pénale déposée à l’époque par le ministre de l’Environnement du Guatemala contre la filiale de Goldcorp pour le déversement d’eaux usées non autorisé. Contrairement à ses politiques énoncées, nulle part dans les parties non caviardées des documents le Canada n’envisage comment il pourrait s’engager avec les communautés touchées pour comprendre leurs préoccupations et vérifier si les normes internationales sont respectées.

Les responsables canadiens ont participé à l'élaboration d'une stratégie avec Goldcorp pour faciliter ses efforts de lobbying

Les responsables canadiens ont communiqué avec Goldcorp au sujet de la demande de la CIDH au moins 37 fois entre mai 2010, date à laquelle la demande a été émise, et septembre 2011, avant la tenue de l’audience. Par exemple, ils ont aidé l’entreprise dans ses efforts de lobbying en fournissant à Goldcorp des informations et des contacts stratégiques au sein du gouvernement guatémaltèque. L’Ambassadrice McKechnie a sollicité ces contacts malgré les préoccupations exprimées par le personnel de l’ambassade concernant la nature «étrange» de la demande.

Bien que Goldcorp et le Canada n’aient pas été parties à l’affaire devant la CIDH, les responsables canadiens ont travaillé pour mettre l’entreprise en relation avec les décideurs de la CIDH. Ainsi, les responsables ont entrepris des démarches pour savoir si Goldcorp pouvait soumettre un mémoire d’amicus à la CIDH, un processus par lequel des tiers peuvent participer à des procédures judiciaires. Les représentants de Goldcorp ont également rencontré au moins un des commissaires de la CIDH lors d’une réunion privée «non officielle» qui a eu lieu le même jour que l’audience formelle.

Ce que le Canada a caché

Le gouvernement refuse de divulguer des informations caviardées sur 20 pages de documents. Il prétend que l’information est exemptée de la divulgation en vertu de la Loi sur l’accès à l’information parce que

  • elle a été obtenue à titre confidentiel du gouvernement du Guatemala ou de la CIDH;
  • sa publication nuirait vraisemblablement aux relations internationales du Canada ou à la position concurrentielle de Goldcorp; ou
  • sa publication porterait atteinte à la neutralité de la fonction publique et à sa capacité de fournir des conseils francs au gouvernement.

Les documents comprennent des rapports de communications avec Goldcorp, avec des représentants du Guatemala et de la CIDH, et entre des diplomates canadiens et le personnel de l’ambassade, ainsi que des notes d’une réunion entre l’ambassadeur du Canada auprès de l’Organisation des États américains et le vice-président de Goldcorp.

Dans de nombreux cas, Affaires mondiales Canada ne peut pas expliquer comment il a satisfait aux critères juridiques établis pour justifier les exemptions qu’il réclame. Par exemple, il est incapable d’identifier les facteurs dont il a tenu compte pour déterminer que la divulgation nuirait à Goldcorp. Il a fait cette évaluation sans consulter la société et a continué à fournir cette justification même après la fermeture de la mine et après le rachat de Goldcorp par une société américaine.

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