En janvier 2018, le gouvernement canadien annonçait la création d’un bureau d’ombudsman indépendant doté de pouvoirs robustes pour enquêter sur les violations présumées des droits de la personne associées aux sociétés canadiennes opérant à l’étranger. Le gouvernement canadien n’a toujours pas tenu cette promesse.
Le Réseau canadien sur la reddition de comptes des entreprises a oeuvré pendant plus d’une décennie à préconiser la création d’un ombudsman des droits de la personne doté de véritables pouvoirs pour mener des enquêtes sur les abus et réparer les préjudices causés par les entreprises canadiennes opérant à l’étranger. Le gouvernement fédéral a finalement annoncé la création d’un tel mécanisme de surveillance indépendant en 2018 et a promis que le bureau possèderait les pouvoirs cruciaux pour contraindre les entreprises à témoigner et à produire des documents. Cette annonce a été applaudie par la société civile et les syndicats, y compris le RCRCE.
Malgré son engagement explicite et public, le gouvernement a par la suite cédé à la pression de l’industrie et a soustrait les pouvoirs du bureau avant même qu’il ne démarre. En avril 2019, le gouvernement créait un poste consultatif impuissant qui différait peu des bureaux discrédités l’ayant précédé. Sheri Meyerhoffer a été nommée conseillère spéciale du ministre de la Diversification du commerce international, avec le titre d’Ombudsman canadien de la responsabilité des entreprises. Sans l’indépendance et les pouvoirs qui sont le fondement d’un bureau efficace, le poste demeure celui d’ombudsman de nom seulement.
Cette capture d’écran prise après l’annonce de l’OCRE en janvier 2018 montre (en anglais) l’engagement du gouvernement à donner au bureau le pouvoir de contraindre des témoins et des documents. Elle a depuis été retirée du site web du gouvernement :
Au moment de l’annonce, le ministre Carr a déclaré que les pouvoirs requis pour enquêter de manière indépendante qui avaient été promis devraient attendre un peu plus longtemps – jusqu’à ce que les résultats d’un examen juridique externe soient rendus publics, dans quelques semaines plus tard tout au plus. Les résultats de cet examen juridique ont été dissimulés à la vue du public pendant plus d’un an et demi et le bureau de l’OCRE demeure toujours impuissant.
Notre analyse des graves lacunes du mandat de l’OCRE est disponible ici et ici.
C’est avec l’assurance que l’OCRE serait indépendant et possèderait de véritables pouvoirs d’enquête que nous nous sommes tenus aux côtés du gouvernement en janvier 2018 et avons fait la promotion de cette annonce aux niveaux national et international.
— Alex Neve, Secrétaire général, Amnesty International Canada
L’OCRE sera-t-il transformé en l’ombudsman promis?
S’appuyant sur les conseils juridiques experts commandés par le Canada au printemps 2019 (connus sous le nom de Rapport McIsaac), le ministre de la Diversification du commerce international, Jim Carr, a reconnu dans une lettre (en anglais) adressée au RCRCE en septembre 2019 que l’OCRE avait besoin de pouvoirs d’enquête pour être efficace et s’est engagé à créer un «cadre juridique autonome pour le bureau, qui entre autre stipulerait ses pouvoirs de contraindre des documents, des témoins et d’autres témoignages clés.» Mme Meyerhoffer a déclaré publiquement qu’elle ferait également pression sur le gouvernement pour obtenir ces pouvoirs.
Le rapport McIsaac a été dissimulé à la vue du public pendant plus d’un an et demi, jusqu’à ce qu’il soit divulgué de 2021. Le rapport indique que le ministre a commandé ce rapport expert pour le conseiller sur « la façon de procéder pour que l’Ombudsman canadien de la responsabilité des entreprises (OCRE) dispose d’outils suffisants pour mener des enquêtes crédibles et efficaces sur les violations présumées des droits de la personne et pour s’assurer qu’elle soit habilitée à contraindre des témoins et des documents. »
Principales observations du rapport McIsaac:
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- «Bien que la meilleure façon de garantir que l’OCRE dispose des pouvoirs nécessaires pour contraindre des témoignages et la production de documents serait de promulguer une loi établissant l’OCRE, cet objectif pourrait également être atteint par la nomination de l’OCRE en tant que commissaire en vertu de la partie I de la Loi sur les enquêtes, tout en conservant le mandat global actuellement envisagé pour l’OCRE. » (emphase ajoutée)
- «Si l’OCRE est structuré comme un ombudsman nommé en tant que conseiller ministériel, comme c’est le cas actuellement, son efficacité dépendra de la coopération du plaignant et de l’entité faisant l’objet de l’enquête.» (emphase ajoutée)
- « … il est juste d’affirmer qu’en l’absence d’un mécanisme permettant d’obliger la coopération des entités contre lesquelles une plainte est déposée ou d’autres personnes susceptibles de détenir des informations pertinentes, l’efficacité de l’OCRE peut être compromise. » (emphase ajoutée)
En novembre 2020, le cabinet de la ministre de la Petite Entreprise, du Développement des exportations et du Commerce international, Mary Ng, informait le RCRCE que le Canada renierait son engagement et ne doterait pas le bureau du pouvoir de contraindre des documents et des témoignages. Malgré les conclusions du rapport McIsaac et l’engagement public du gouvernement du Canada à créer un OCRE doté de pouvoirs pour mener des enquêtes, l’OCRE demeurerait un ombudsman de nom seulement.
On ne peut plus attendre
La pandémie COVID-19 n’a pas rendu l’institution de la responsabilité des entreprises moins urgente. Bien au contraire. En plus de la nouvelle crise sanitaire, dans certains cas les risques d’abus des droits de la personne envers les travailleurs, les femmes, les peuples autochtones et les défenseurs des droits de la personne et de l’environnement touchés par les conséquences négatives des activités commerciales canadiennes ont été exacerbés.
Par exemple, les sociétés minières canadiennes ont utilisé la couverture de la pandémie (rapport en anglais) pour faire avancer leurs projets controversés, et les droits fondamentaux des travailleuses et travailleurs dans le secteur du vêtement – comme être payé pour le travail que vous avez accompli – ont été menacés alors que les marques de commerce dans le secteur de la mode, y compris celles qui produisent pour les marchés canadiens, ont annulé des commandes.
En outre, l’urgence de voir l’OCRE doté de pouvoirs est accentuée par le fait que le bureau a commencé à accepter des plaintes au début de 2021. Sans pouvoirs indépendants pour mener des enquêtes, l’OCRE demeure inapte et subira le même sort que ses prédécesseurs, y compris le Point de contact national.
Compte tenu de l’absence de pouvoirs minimaux de base permettant à l’OCRE de remplir son mandat, les membres du RCRCE ont ressenti l’obligation d’avertir nos partenaires à travers le monde d’aborder l’OCRE avec prudence.
Une loi qui pourrait changer la donne
En mars 2022, le projet de loi d’initiative parlementaire C-263, Loi établissant le Bureau du commissaire à la conduite responsable des entreprises à l’étranger et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, a été déposé à la Chambre des communes. Ce projet de loi accorderait finalement à l’OCRE le pouvoir de contraindre la production de documents et d’obliger à témoigner sous serment.
Les Canadiens, la société civile et les communautés touchées du monde entier continuent de s’attendre à ce que le Canada prenne au sérieux ses obligations internationales en matière de droits de la personne et mette en place des mécanismes efficaces de responsabilisation des entreprises. Nous attendons du gouvernement qu’il respecte ses engagements. Nous n’attendrons pas en silence.