Torex Gold Resources Inc. – Liberté d’association et menaces de violence et de mort
Une étude de cas par le Réseau canadien sur la reddition de comptes des entreprises (RCRCE)
Publié : Février 2023
Étude 2 de 6 [1]
Torex Gold Resources Inc. est une société canadienne d’exploitation aurifère inscrite à la Bourse de Toronto (TSX) et dont le siège social est établi à Toronto, en Ontario. La société détient à 100% le projet Media Luna, situé dans l’État de Guerrero, au Mexique.
Sommaire
- Le 3 novembre 2017, environ 600 travailleurs de l’installation minière Media Luna de Torex Gold, située dans l’État mexicain de Guerrero, ont effectué un arrêt de travail pour exiger leur droit d’être représentés par un syndicat indépendant de leur choix. Les travailleurs alléguaient que le syndicat de l’établissement, connu pour être non représentatif et pour son usage de tactiques d’intimidation, avait été choisi pour eux par l’employeur à leur insu ou sans leur consentement préalable et ne représentait pas leurs intérêts.[2]
- Une série d’événements violents s’en est suivi, mettant en danger les travailleurs et les membres de la communauté manifestant à l’extérieur de la mine ; quatre personnes, anciennement employées par la compagnie[3] et associées à la lutte des travailleurs, ont été tuées. Les travailleurs ont finalement été dissuadés de continuer à manifester par crainte de représailles violentes.
- Le 6 avril 2018, l’entreprise a repris ses activités avant la résolution du conflit de travail. À ce jour, malgré les protestations des travailleurs de la mine, le syndicat avec lequel Torex a un contrat de protection continue de détenir le titre légal de représentation à la mine. Les enquêtes sur les quatre décès demeurent en suspens.
Le contexte détaillé
L’État de Guerrero, au Mexique, est connu comme l’un des États les plus dangereux du pays.[4] Les morts violentes liées aux sociétés minières canadiennes dans cet État sont bien documentées.[5] Dans le cas de Torex, le Justice and Corporate Accountability Project signale cinq cas distincts de criminalisation de manifestations entre 2009 et 2015, notamment des arrestations irrégulières et des attaques violentes contre des opposants à la mine, et le meurtre présumé d’un ingénieur qui aurait fait des affaires avec l’entreprise.[6]
Le Mexique est connu pour avoir un système de relations de travail corrompu et antidémocratique où des contrats de protection, soit des conventions collectives bidons, sont signés entre des syndicats non représentatifs et des employeurs souvent avant même que des travailleurs n’aient été embauchés, et donc sans que les travailleurs en soient préalablement informés.[7] La Confédération des travailleurs du Mexique (CTM) et d’autres « syndicats officiels » sont considérés comme des syndicats jaunes qui mettent de l’avant les intérêts des employeurs avant ceux des travailleurs. L’une des revendications tout au long des négociations de l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM), qui se sont déroulées parallèlement aux événements de l’affaire en cause, était la nécessité de renforcer les normes du travail du Mexique. Mettre fin à la pratique de ces « contrats de protection des employeurs » était jugé essentiel pour promouvoir la liberté d’association et améliorer les salaires.[8]
Le 3 novembre 2017, environ 600 travailleurs de la mine Media Luna de Torex Gold ont déclenché un arrêt de travail et participé à une manifestation pour exiger de meilleurs salaires et leur droit de choisir un syndicat indépendant plutôt que celui qui leur est imposé à la mine. Le « syndicat de protection » CTM de la mine avait été choisi par l’employeur, Torex Gold Resources Inc., sans le consentement préalable des travailleurs.[9] Les travailleurs ont affirmé avoir été contraints de signer l’adhésion au syndicat CTM et avoir été menacés de perdre leur emploi s’ils refusaient.[10] Le vice-président de Torex a admis dans une entrevue que l’entreprise avait « engagé » CTM avant d’avoir embauché la main-d’œuvre.[11] En réponse à cette étude de cas, l’entreprise a également déclaré qu’elle « encourageait à ce que la question soit résolue par le biais d’un processus sanctionné par le gouvernement afin que les travailleurs de l’entreprise votent pour leur syndicat préféré ».[12]
Les communautés voisines qui se sont jointes à la manifestation ont fait valoir que l’entreprise ne les dédommageait pas pour son utilisation de l’eau[13] et ont fait part de leurs inquiétudes concernant les irrégularités dans la manière dont l’entreprise avait acquis les terres de leurs occupants originaux.[14]
Dix jours après le début de l’arrêt de travail, l’entreprise n’avait toujours pas entamé le dialogue avec les travailleurs. Au lieu de cela, ces derniers ont été informés par des représentants de l’État et du secrétaire du Travail qu’ils devaient mettre fin à l’arrêt de travail avant qu’il puisse y avoir un dialogue avec l’entreprise et les autorités compétentes.[15] Pendant ce temps, les autorités mexicaines ont déployé 130 agents de la police fédérale à la mine[16] et un poste de contrôle de sécurité a été installé à proximité.[17] Malgré ces pressions, le mouvement de protestation s’est poursuivi.
Le 18 novembre 2017, deux frères qui avaient participé à l’arrêt de travail, Victor et Marcelino Sahuanitla Peña, ont été tués par balle. Conformément à la tendance des autorités de l’État à imputer les cas de violence politique aux activités des gangs, la police locale a fait valoir que les décès étaient le résultat d’une altercation entre des milices rivales et n’étaient donc pas liés au conflit de travail.[18] Torex Gold a également affirmé que les meurtres n’avaient aucun lien entre eux[19] et que les deux victimes n’étaient pas des employés de Torex.[20] Cependant, trois ans plus tard, l’entreprise a admis que les frères, ainsi que deux autres personnes impliquées dans l’arrêt de travail et assassinées par la suite, étaient tous d’anciens employés de la mine et probablement ciblés en conséquence.[21]
Bien qu’elle ait initialement soutenu la demande des travailleurs pour qu’un vote syndical ait lieu,[22] La compagnie n’a pas attendu que l’État mexicain fixe une date ou que le conflit de travail soit résolu.[23] Le 15 janvier 2018, la mine a repris ses activités.[24] Les autorités mexicaines responsables des relations de travail, largement critiquées pour leur parti pris envers les syndicats « officiels »[25] comme la CTM, n’ont pas exercé leur responsabilité de fixer une date, malgré la tenue de deux audiences publiques à cet effet.[26] Le 24 janvier, soit moins de deux semaines plus tard, le militant syndical Quintin Salgado a été tué. La semaine précédant sa mort, alors qu’il se rendait à une réunion avec des grévistes de la mine, il avait été battu et menacé pour qu’il cesse son travail en faveur d’une nouvelle représentation syndicale.[27]
Moins de trois mois plus tard, le 6 avril 2018, Torex a annoncé la fin du blocus « illégal », notant que la prochaine étape du conflit syndical consistait à attendre que la Commission fédérale des relations de travail désigne une date pour le vote.[28] Mais à ce jour, le syndicat CTM continue de détenir la représentation syndicale à la mine. Selon les travailleurs, le crime organisé, agissant en faveur de l’entreprise, aurait proféré des menaces de mort si l’arrêt de travail ne prenait pas fin.[29] Le 12 mai 2020, un quatrième militant syndical, Óscar Ontiveros Martínez, aurait été assassiné par le crime organisé près de la mine Torex.[30] L’homme de 29 ans avait été impliqué dans les événements de 2017 et était considéré comme une figure prometteuse du mouvement mexicain en faveur des droits du travail.[31]
Dans une réponse courriel en réaction à une ébauche de la présente étude de cas, un représentant de Torex Gold a déclaré « nous entretenons une relation très positive et productive avec nos employés et le syndicat CTM » et qu’« opérer de manière responsable est dans l’ADN de notre entreprise ; jamais nous ne tolérerions, ni ne prendrions part au genre de comportement radical, de menaces et de violence dont l’entreprise est accusée ».[32]
Réaction des organisations canadiennes et internationales
Au plus fort de l’arrêt de travail, des groupes internationaux de défense des droits du travail, y compris le Syndicat des Métallos et UNIFOR, ont tiré la sonnette d’alarme au sujet de la violence et de leur préoccupation pour la sécurité des travailleurs. Des lettres ont été écrites au Bureau des affaires bilatérales et régionales du travail d’Emploi et Développement social Canada, au premier ministre et au ministre des Affaires étrangères, leur demandant d’intervenir auprès du gouvernement mexicain. Divers communiqués de presse ont été publiés et le cas a fait l’objet de couverture médiatique. Bien que le gouvernement du Canada ait communiqué avec Torex, le Canada n’a pas pu ou n’a pas voulu poser de gestes qui auraient mené à la protection du droit des travailleurs à la liberté d’association ou à enquêter pleinement sur les décès ou à prévenir la violence qui perdure.
Qu’en serait-il si …?
Si le Canada disposait d’une loi sur la diligence raisonnable obligatoire en matière de droits humains, qu’est-ce qui serait différent pour les travailleurs à la mine de Torex Gold ?
- Le droit des travailleurs de choisir démocratiquement leur représentation syndicale aurait été protégé, et la sécurité et la vie des travailleurs auraient pu être protégées.
- Si ces droits n’étaient pas protégés par Torex et que des vies étaient mises en danger, comme ce fut le cas aux installations de Torex, les travailleurs ou leurs alliés auraient pu réclamer justice devant un tribunal canadien.
Comment?
Tout au long de la durée de vie opérationnelle d’un projet, les sociétés minières, comme Torex, seraient tenues d’identifier et évaluer les risques pour les droits humains, environnementaux, et du travail dans leurs opérations, de prévenir et atténuer les impacts sur les droits des travailleurs et de rendre compte de la manière dont elles abordent ces impacts.
- Identifier et évaluer : Si Torex avait entrepris une évaluation adéquate des risques, elle aurait identifié :
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- Le risque élevé de violations des droits du travail pouvant résulter du développement d’une relation avec un syndicat de « protection » connu.
- Le risque élevé de violence et de corruption dans l’État de Guerrero qui constitue un obstacle à la liberté d’association et rend le droit de manifester dangereux pour les travailleurs.
- Prévenir, atténuer et rendre compte : Torex aurait pu prendre des mesures pour assurer le respect du droit des travailleurs de choisir leur représentation syndicale et assurer la sécurité de ses travailleurs en :
- Examinant et documentant comment elle entendait assurer la protection de ses travailleurs et de leurs droits compte tenu des risques liés à l’exploitation d’une mine dans l’un des États les plus violents du pays.
- Développant des relations de travail solides et des mécanismes assurant la liberté d’association qui garantissent que l’entreprise s’engage effectivement dans un dialogue permanent avec les travailleurs et que les droits du travail sont protégés.
- Incorporant un mécanisme d’alerte pour informer l’entreprise des violations des droits du travail, et en traitant toute violation dès qu’elle est identifiée.
- La justice aurait pu être accessible pour les travailleurs
- Si les travailleurs touchés, les syndicats ou les organisations de défense des droits humains avaient eu un accès efficace à des voies de recours, ils auraient eu le droit de poursuivre Torex devant un tribunal canadien. Les tribunaux auraient évalué si les procédures de diligence raisonnable de Torex étaient adéquates et, s’il avait été déterminé que Torex n’avait pas donné suite à ses propres mesures de diligence raisonnable, ou si ces mesures étaient considérées comme faibles et inefficaces, Torex aurait été tenue responsable du préjudice.