L’article qui suit est une traduction non officielle d’un texte d’opinion écrit par notre coordonnatrice, Emily Dwyer, qui a été publié dans iPolitics.
Le Projet de loi sur l’esclavage moderne manque le but
Depuis des années, les Nations Unies et les communautés touchées par les activités des entreprises canadiennes à l’étranger demandent au Canada d’aborder le problème des graves violations des droits de la personne associées aux opérations des multinationales canadiennes à l’étranger. Cependant, le Projet de loi sur l’esclavage moderne, récemment proposé par une sénatrice canadienne avec l’appui de deux députés, n’accomplirait pas grand-chose, sinon rien, pour empêcher l’exploitation et les abus dans les chaînes d’approvisionnement mondiales des entreprises canadiennes.
Loin de positionner le Canada à l’avant-garde des efforts mondiaux visant à protéger les droits de la personne contre les abus des entreprises, ce projet de loi, s’il était adopté, placerait le Canada vers l’arrière du peloton.
Le nouveau projet de loi, proposé par la sénatrice Julie Miville-Dechêne et appuyé par les députés John McKay et Arnold Viersen, tente de cibler les pires formes d’exploitation du travail dans les chaînes d’approvisionnement mondiales des entreprises canadiennes. Il oblige les entreprises canadiennes à produire des rapports sur l’utilisation du travail des enfants ou du travail forcé dans leurs chaînes d’approvisionnement et à rendre compte de toutes les mesures prises pour empêcher de telles pratiques. Cependant, le projet de loi ne les oblige pas à modifier leur comportement – pour prévenir, atténuer ou réparer les abus qu’elles détectent. De plus, le projet de loi n’offre aucune aide aux victimes de l’exploitation car il ne prévoit pas de responsabilité ou de réparation si les entreprises ont recours au travail des enfants ou au travail forcé.
Le projet de loi n’aborde pas non plus la multitude d’autres violations graves des droits de la personne répandues dans les chaînes d’approvisionnement mondiales du Canada, allant de la
violation des droits des travailleurs et des peuples autochtones à la violence sexuelle et la destruction de l’environnement.
Plutôt que de tirer profit des meilleures pratiques, les législateurs canadiens ont modelé leur projet de loi sur les lois promulguées au Royaume-Uni et en Australie – des lois qui ont été largement critiquées comme inefficaces. Rien ne prouve que l’obligation de produire des rapports puisse avoir en soi un impact sur la réduction des abus des entreprises. En fait, un rapport publié le 24 février par l’union européenne conclut que les exigences en matière de rapports n’auront « que de faibles impacts sociaux positifs ».
Le leadership actuel sur cette question est exercé par plusieurs pays européens, dont la France et la Suisse, qui ont soit promulgué, ou envisagent de le faire, une législation qui va au-delà de la simple production de rapports. Ces mesures obligent les entreprises à identifier et à prévenir les violations des droits de la personne dans l’ensemble de leurs opérations mondiales. Surtout, elles tiennent les entreprises légalement responsables lorsque leurs opérations causent un préjudice.
En novembre 2019, une coalition de 35 groupes de la société civile, dont le RCRCE et les principales organisations syndicales, des droits de la personne, des droits de l’enfant et du développement international du pays, a exhorté le gouvernement à tirer parti de ces expériences et à garantir une action réelle de la part des entreprises canadiennes et des entreprises faisant affaire au Canada pour protéger les droits de la personne internationalement reconnus, et ce pour l’ensemble de leurs chaînes d’approvisionnement et de leurs opérations mondiales. Jusqu’à présent cet appel demeure sans réponse de la part de notre parlement.
Les partisans du projet de loi affirment qu’il peut être efficace, s’appuyant sur une disposition sur les contrôles à l’importation de biens produits par le travail des enfants ou le travail forcé. Cependant, le projet de loi ne peut pas lui-même interdire l’importation de ces marchandises. Il autorise simplement le Cabinet à rédiger de futurs règlements à cet effet. Si le Cabinet traîne de la patte – comme il l’a fait avec sa promesse non tenue de donner à l’ombudsman récemment nommé le pouvoir d’enquêter sur les abus – ce projet de loi n’empêchera pas les marchandises produites par le travail des enfants et d’esclaves d’accéder au marché canadien pour des années à venir.
Le Canada a l’obligation de veiller à ce que les chaînes d’approvisionnement des entreprises canadiennes soient exemptes de violations des droits de la personne. Des lois strictes sont nécessaires pour protéger les droits des travailleurs et des communautés et pour empêcher les entreprises de profiter de l’utilisation de la main-d’œuvre esclave, du viol ou de graves lésions corporelles.
Le dépôt de rapports par les entreprises, à lui seul, comme ce qui est proposé dans la Loi sur l’esclavage moderne, ne peut mettre fin aux pratiques néfastes. Sous l’apparence d’une action, la loi supprimerait plutôt l’élan à adopter des lois qui changeraient réellement la pratique des entreprises – comme une loi comportant des mesures d’ensemble rendant obligatoire la diligence raisonnable en matière de droits de la personne.