Résumé exécutif du projet de loi type du RCRCE sur la création d'un Bureau de l’ombudsman des droits de la personne pour les activités internationales du secteur extractif canadien, la Loi pour le Leadership canadien dans le domaine des affaires et des droits de la personne
Novembre 2016
Sommaire
Le Canada est un chef de file mondial dans le secteur pétrolier, gazier et minier et il abrite le siège de plus de la moitié des entreprises minières du monde. Cependant, les activités des entreprises canadiennes à l’étranger sont souvent associées à des accusations crédibles de violation des droits de la personne et de dommages environnementaux, notamment le travail forcé, la violence sexuelle, le déplacement forcé et le non-respect du droit des peuples autochtones au consentement libre, préalable et éclairé. Les victimes de préjudices n’ont souvent pas accès à des recours efficaces. Les mécanismes existants au Canada se sont avérés inefficaces à fournir des recours aux personnes et aux collectivités touchées. Les intervenants n’y font pas confiance.
Depuis plus d’une décennie, la population canadienne demande à son gouvernement d’adopter des mesures à la suite de rapports de violations systématiques des droits de la personne et de dommages environnementaux associés à des projets pétroliers, gaziers et miniers d’entreprises canadiennes dans le monde. Depuis 2013, plus de 100 000 Canadiennes et Canadiens se sont joints à la campagne Une affaire de justice. Quelque 50 organisations de la société civile canadienne sont signataires d’une déclaration en réponse à cet appel. Des personnes et des collectivités directement touchées ont témoigné devant des comités parlementaires et ont rencontré des membres du Parlement canadien de tous les partis. En 2015, le Parti libéral du Canada, le Nouveau Parti démocratique du Canada, le Parti vert du Canada et le Bloc Québécois ont fait un grand pas en avant, chacun s’engageant à mettre en œuvre des mesures concrètes visant à accroître la responsabilité des entreprises extractives canadiennes qui exercent leurs activités à l’étranger.
Les développements à l’échelle internationale donnent un élan additionnel à l’action canadienne. Les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme et le Cadre de référence des Nations Unies visant à « protéger, respecter et réparer » confirment l’obligation légale des États à respecter, protéger et appliquer les droits de la personne. Une telle responsabilité comprend l’obligation d’assurer aux victimes de violations des droits de la personne l’accès à une procédure de recours. Jusqu’à présent, le Canada a manqué à ses obligations légales à cet égard. Cette année, le Comité des droits de l’homme de l’ONU s’est joint à d’autres administrations internationales pour demander au Canada de veiller à ce que ses entreprises, particulièrement celles du secteur minier, respectent les normes en matière de droits de la personne dans leurs activités à l’étranger. Une lettre adressée au premier ministre Trudeau et signée par plus de 200 organisations des quatre coins du globe confirme l’urgence d’agir et l’attention mondiale sur le Canada.
Un Bureau de l’ombudsman efficace et crédible offrira d’importants avantages à long terme aux entreprises extractives canadiennes. Les projets d’extraction engendrent souvent des conflits et donnent lieu à des différends communautaires. Quand les questions sous-jacentes ne sont pas traitées équitablement et rapidement, le conflit s’intensifie et les entreprises s’exposent à d’importants retards et interruptions dans leurs activités qui peuvent entraîner de lourdes conséquences financières. Les conflits qui créent une image et une publicité négatives pour les entreprises deviennent d’importantes responsabilités, non seulement pour celles qui sont en cause, mais pour l’industrie entière lorsque vient le temps de négocier l’accès à de nouveaux gisements de matières premières avec les titulaires de droits. L’absence de mécanisme de contrôle indépendant, impartial et crédible exacerbe le problème. Un système robuste qui établit la responsabilité des entreprises et dont l’ombudsman canadien des droits de la personne constitue la pierre angulaire contribuerait à assurer un contexte opérationnel plus stable et plus prévisible là où les pratiques commerciales responsables des entreprises canadiennes sont reconnues et récompensées.
Les entreprises canadiennes ont accès à la majorité des pays du monde pour y mener des affaires. Une occasion sans précédent s’offre maintenant au Canada de faire preuve de leadership et de rendre la justice accessible au Canada.
Le RCRCE a commandé la rédaction d’un projet de loi type sur la création d’un Bureau de l’ombudsman du secteur extractif à partir de principes et de procédures juridiques établis. Un tel projet de loi type prévoit des protections procédurales robustes, tant pour les entreprises faisant l’objet d’enquêtes que pour les plaignants. Il comprend également des protections qui tiennent compte des vulnérabilités particulières des plaignants. En outre, il énonce des mesures conçues pour veiller à l’indépendance et à la crédibilité du Bureau de l’ombudsman. Le projet de loi type prévoit une enquête transparente et efficace des plaintes, une procédure d’enquête claire, des rapports publics, une procédure portant sur les recommandations, l’option de médiation et des mesures pour assurer le suivi de la mise en œuvre des recommandations. Le projet de loi type crée un mécanisme de plainte non judiciaire permettant d’enquêter sur les allégations de préjudices associées aux projets miniers, pétroliers et gaziers d’entreprises canadiennes à l’étranger et sur le non-respect des droits internationaux de la personne et en matière d’environnement.
Mission du Bureau de l'ombudsman
Voici les objets du projet de loi type conformément à la partie 3, article 20 :
- accroître la responsabilité et la transparence dans le secteur extractif;
- promouvoir des enquêtes non sexistes, l’établissement de rapports et la résolution des plaintes liées à des préjudices;
- promouvoir des recours et réparations pour les victimes de préjudices, et l’évitement de préjudices; et
- promouvoir la participation effective des personnes et groupes touchés.
Un Bureau de l’ombudsman autorisé à enquêter efficacement sur les plaintes liées à des préjudices et mettant en cause des projets miniers, pétroliers et gaziers d’entreprises canadiennes à l'étranger
Si une personne ou une collectivité croit avoir subi ou craint de subir un préjudice dans le cadre d’un projet pétrolier, gazier ou minier d’une entreprise canadienne à l’étranger, elle peut déposer une plainte auprès de l’ombudsman pour enquête. Une personne, une organisation ou un groupe de personnes peut déposer une plainte, et une plainte peut être déposée à n’importe quel moment [partie 4].
L’ombudsman doit faire enquête sur toutes les plaintes qui allèguent un préjudice (défini comme une violation des droits internationaux de la personne, des travailleurs et en matière d’environnement) [annexe 1], ou des risques importants de subir un préjudice, de la part d’une entreprise extractive ayant un lien avec le Canada [partie 6]. Il peut s’agir, entre autres, d’entreprises dont le siège est au Canada, de leurs filiales ou de leurs affiliées [voir parties 5 et 2 pour diverses définitions]. Les multinationales organisent leurs affaires à l’étranger de façons complexes. Limiter les enquêtes sur les entreprises dont le siège est au Canada ne tiendrait pas compte de la réalité actuelle entourant la façon dont les multinationales sont structurées et exercent leurs activités. L’ombudsman peut refuser d’enquêter sur une plainte si, à son avis, la question est sans objet ou n’est pas sérieuse, si elle a fait ou si elle fera effectivement l’objet d’autres poursuites, ou si l’ombudsman estime que la question est frivole, vexatoire ou qu’elle n’est pas faite de bonne foi [article 6.4]. L’ombudsman doit fournir des raisons pour refuser d’enquêter [article 6.5]. L’ombudsman qui soupçonne la forte possibilité qu’il puisse survenir ou qu’il soit survenu un préjudice peut aussi entreprendre des enquêtes de sa propre initiative [article 6.3].
Avant d’ouvrir une enquête, l’ombudsman avise publiquement les parties (sous réserve d’exceptions limitées) [articles 6.8-6.11]. Dans les 30 jours suivant cet avis, l’ombudsman publie une demande officielle « pour tout renseignement, document ou preuve matérielle lié à l’objet de l’enquête » [article 8.4]. Les parties doivent fournir l’information (les documents originaux et listes d’éléments de preuve indiquant qui d’autre peut détenir de l’information pertinente, etc.) dans les 60 jours suivant la demande. Les parties peuvent demander à ce que la confidentialité de toute information qu’elles présentent soit préservée [article 8.5]. Des dispositions particulières guident l’ombudsman dans l’évaluation de telles demandes, notamment par un examen possible de la Cour fédérale [partie 10].
L’ombudsman possède des compétences spécialisées et il met en place une procédure permettant d’enquêter efficacement sur les allégations de violations des droits internationaux de la personne, des travailleurs et en matière d’environnement [articles 3.9 et 8.1]. Dans l’exécution de son enquête, l’ombudsman donne l’occasion aux plaignants et aux entreprises en cause de présenter des observations, avec ou sans représentant de leur choix, et l’ombudsman peut examiner des rapports externes. Personne n’a le droit d’être présent pendant que d’autres présentent des observations [articles 8.2 et 8.3].
Si l’ombudsman croit qu’une entreprise ou une personne possède de l’information, des documents ou des données pouvant faire progresser l’enquête, ou qu’elle en a le contrôle, et qu’elle ne les a pas fournis à la demande de l’ombudsman, l’ombudsman peut demander à un juge 1) une ordonnance de communication exigeant qu’une partie remette à l’ombudsman (une copie ou l’original) des documents ou des données mentionnés, 2) une ordonnance de participation à une entrevue d’enquête (peut-être devant un juge ou sous serment), ou 3) un mandat de perquisition à exécuter dans un bâtiment, un contenant ou un autre endroit [articles 8.9-8.15].
Un grand nombre de bureaux d’ombudsman canadiens ont le pouvoir de contraindre une personne à témoigner ou à produire des documents sans avoir à obtenir une ordonnance d’un tribunal à cet effet [p. ex., le Commissariat à l’information du Canada, le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada]. L’ombudsman du secteur extractif serait tenu de solliciter l’approbation d’un juge pour obtenir une ordonnance afin d’accroître les protections procédurales auxquelles ont droit les entreprises faisant l’objet d’une plainte.
Plusieurs conditions doivent être réunies pour qu’un juge délivre une des ordonnances susmentionnées.
Le juge doit être convaincu qu’il existe des motifs valables de croire qu’un préjudice a été commis ou qu’il peut l’être, et que l’ordonnance fournira la preuve nécessaire à l’enquête ou celle qui est liée au préjudice [articles 8.9-8.15]. Dans le cas d’une ordonnance de communication, le juge doit aussi être certain que la partie concernée détient les documents ou les données, ou qu’elle en a le contrôle [article 8.10]. Quant à une ordonnance de participation à une entrevue d’enquête, le juge doit également être persuadé que des efforts raisonnables ont été déployés pour obtenir l’information par d’autres moyens [article 8.12].
S’il est possible de recueillir de l’information dans l’autre pays sans en enfreindre les règles, l’ombudsman peut le faire par l’entremise d’ententes d’aide mutuelle, de commissions rogatoires ou d’autres ententes similaires. Autrement dit, l’ombudsman ne participe pas aux activités d’application de la loi dans d’autres pays [partie 9].
Médiation et règlement [partie II]
Dans certaines circonstances, la médiation pourrait résoudre les questions qui font l’objet d’une enquête par l’ombudsman. L’ombudsman peut présenter une demande de médiation à tout moment. Étant donné le déséquilibre des pouvoirs qui existe souvent entre le plaignant et l’entreprise, et le besoin de transparence dans l’intérêt public, l’ombudsman proposera la médiation seulement si toutes les parties donnent leur consentement éclairé, le plaignant est directement lésé par le préjudice et peut représenter d’autres qui le sont également, l’objet de l’enquête est approprié à la médiation (selon l’opinion de l’ombudsman) et si l’enquête initiale est assez avancée pour révéler les faits pertinents. Les parties peuvent être représentées pendant la médiation et l’ombudsman peut accepter de payer les frais juridiques raisonnables d’un plaignant ou groupe de plaignants.
Lorsque les parties conviennent d’un règlement, le mettent par écrit, le signent et que l’ombudsman l’approuve, le règlement lie les parties au règlement, et la partie qui alléguerait une infraction au règlement peut déposer une demande auprès de la Cour fédérale pour en obtenir l’application.
Les rapports de l'ombudsman sont publics, ils comprennent des constatations et des recommandations, et l'ombudsman en surveille la mise en œuvre
L’ombudsman publie un rapport public énonçant son opinion et les raisons qui l’expliquent, et il peut formuler des recommandations qu’elle ou il estime appropriées [articles 13.1 et 13.4]. Pour former son opinion, l’ombudsman peut s’inspirer de normes et d’organes internationaux sur les droits de la personne, de la responsabilité des entreprises et des droits des entreprises et de la personne [articles 13.2-13.3]. L’ombudsman ne prononce pas de déclaration de culpabilité ou de responsabilité.
L’ombudsman peut délivrer une recommandation à une personne, ou à un organisme ou une agence du gouvernement du Canada, y compris, mais non de façon limitative, sur les points suivants :
- les recours et les réparations pour le préjudice subi;
- les mesures à prendre afin de prévenir et d’éviter un préjudice à l’avenir (dans le cadre du même projet ou de l’ensemble des activités, ou dans les deux cas);
- les étapes visant à résoudre tout conflit découlant du projet en cause;
- toute action ou omission d’un organisme ou ministère du gouvernement canadien, ou toute pratique, loi ou politique ayant servi de base aux actions ou omissions, ou le besoin d’une pratique; et
- une enquête plus approfondie par une autorité ou un organe distinct, selon le cas [article 13.4].
Quiconque fait l’objet d’une recommandation de l’ombudsman doit l’informer par écrit, dans le délai prescrit, de l’avancement entourant la mise en œuvre de la recommandation. L’ombudsman sollicitera alors l’avis du plaignant ou des plaignants ou des autres parties touchées [article 13.6]. Dans les six mois suivants, l’ombudsman publiera un rapport indiquant son opinion quant aux progrès réalisés dans la mise en œuvre des recommandations. L’ombudsman fournira une copie du rapport aux parties au différend, aux institutions ou organes pertinents qui se préoccupent des droits des entreprises et de la personne, le publiera sur le site Web du Bureau de l’ombudsman et dans la Gazette du Canada, et le déposera devant les deux Chambres du Parlement [articles 13.7- 13.11].
L’ombudsman peut recommander de retirer une subvention, la promotion, la protection ou l’appui de tout ministère ou organisme gouvernemental, ou d’y mettre fin, si l’ombudsman est d’avis que :
- le bénéficiaire de l’appui gouvernemental n’engage pas toutes les mesures utiles pour se conformer aux conditions d’un règlement;
- le bénéficiaire de l’appui gouvernemental n’engage pas toutes les mesures utiles pour se conformer aux recommandations de l’ombudsman; ou
- la nature du préjudice causé est si grave qu’il serait inapproprié pour le Gouvernement du Canada d’appuyer l’entité ou le projet faisant l’objet d’une enquête [partie 14].
Une recommandation visant à retirer l’appui d’un ministère ou d’un organisme gouvernemental ou à y mettre fin doit être mise à exécution par le ministère ou l’organisme gouvernemental dans le délai prescrit, à moins que le ministère ou l’organisme ne fournisse des raisons compatibles avec la loi de ne pas le faire. Dans un tel cas, il est possible de demander à la Cour fédérale de procéder à un examen judiciaire pour déterminer le caractère raisonnable des explications d’un ministère ou d’un organisme gouvernemental concernant la non-application de la recommandation [articles 14.4- 14.5].
La confiance dans le Bureau de l'ombudsman est la clé de son efficacité
Le fonctionnement adéquat du Bureau de l’ombudsman dépend de la confiance du public dans son mandat et sa structure, et des compétences de la titulaire ou du titulaire de la fonction d’ombudsman. La confiance dépend autant de la perception que de l’indépendance réelle du Bureau de toute influence que pourraient exercer le gouvernement ou d’autres entités à son endroit.
Voici comment le présent projet de loi type propose d’assurer l’intégrité et l’indépendance de l’ombudsman :
- l’ombudsman jouit du statut de mandataire du Parlement [article 3.2];
- l’ombudsman est nommé par la gouverneure ou le gouverneur en conseil, avec l’appui de la Chambre des Communes et du Sénat [article 3.1];
- la loi prévoit la stabilité des fonctions de l’ombudsman en lui conférant un mandat de sept ans, et la possibilité d’un renouvellement de mandat [articles 3.3 et 3.4];
- la rémunération est établie à un niveau adéquat [article 3.6];
- l’ombudsman est appuyé du personnel et du budget suffisants pour mener des enquêtes efficaces [partie 3];
- l’ombudsman possède l’expérience et les connaissances pertinentes pour élaborer une procédure appropriée permettant de mener des enquêtes et d’établir des rapports qui veillent au respect des droits [articles 3.9 et 8.1]; et
- la loi comporte des dispositions pour éviter les conflits d’intérêts et régir les immunités [articles 3.22-3.24 et partie 15].